Il y a des questions qui sont facultatives et d’autres qui sont imposées, quels que soient nos choix. La techno-science, avec son amalgame de progrès humain et de business inhumain, nous arrive aujourd’hui avec les nouvelles avancées de l’Intelligence Artificielle. Entre la déploration de l’ellipse éthique des usages dangereux et l’optimisme transhumaniste d’une nouvelle singularité, il convient de s’interroger sur notre position de croyants. C’est une question à laquelle nous devons réfléchir, car elle implique des aspects concrets face auxquels nous devons nous situer.
Comme le souligne le pape François dans son message pour la Journée mondiale des communications, l’intelligence artificielle « modifie radicalement l’information et la communication et, à travers elles, certains des fondements de la coexistence civile ». Partant de cette réalité, il nous invite à faire un choix : « En cette époque qui risque d’être riche en technologie et pauvre en humanité, notre réflexion ne peut partir que du cœur de l’homme. Ce n’est qu’en nous dotant d’un regard spirituel, en retrouvant une sagesse du cœur, que nous pourrons lire et interpréter la nouveauté de notre temps et retrouver le chemin d’une communication pleinement humaine ».
La condition ambiguë de l’être humain nous invite à discerner entre opportunité et danger. L’intelligence artificielle générative, capable de collecter des données existantes et d’obtenir des contenus originaux, nous permet d’avoir à portée de main des propositions et des scénarios de communication inédits. Nous pouvons disposer de plus d’informations et de plus de possibilités d’interprétation, et ce beaucoup plus rapidement. Cela signifie le défi d’acquérir de nouveaux apprentissages alors que nous avons déjà compris que la formation n’est jamais terminée. En tant que croyants, nous devons être ouverts à ce que les nouvelles technologies offrent pour résoudre des problèmes complexes et discerner où elles peuvent nous être utiles.
Cela dit, nous ne devons pas oublier les défis préoccupants. Ainsi, le pape François propose qu' »il est nécessaire d’agir de manière préventive, en proposant des modèles de régulation éthique pour freiner les implications nocives et discriminatoires, socialement injustes, des systèmes d’intelligence artificielle et pour contrer leur utilisation dans la réduction du pluralisme, la polarisation de l’opinion publique ou la construction d’une pensée unique ». Les possibilités de manipulation de l’information (fake news, campagnes de désinformation, utilisation de l’anonymat, mécanismes d’annulation, etc.) et la pression du pouvoir et du marché sur les communicateurs augmentent de manière exponentielle.
L’intelligence artificielle alimente le climat de concurrence féroce entre les médias et la vitesse excessive de l’information, alors que l’espace de discernement fait défaut. Les communicateurs ne peuvent se déplacer qu’à l’intérieur des paramètres de l' »écurie » (pardonnez l’analogie de la cavalerie) qui les a engagés. Il y a un besoin urgent d’espaces indépendants où les communicateurs peuvent exercer leur liberté d’opinion, leurs doutes éthiques, leur propre faiblesse face à un système complexe. Les communicateurs chrétiens ont besoin d’espaces libres, de communautés de contraste basées sur les valeurs de l’Evangile.
Dans l’avenir du développement de l’intelligence artificielle, c’est la condition humaine qui est en jeu. Les dystopies de la science-fiction sont un avertissement qui montre les faiblesses de ce qui n’est qu’un progrès apparent. Ce qui est nouveau, c’est que la fiction est déjà la réalité et que nous la tenons entre nos mains.
SIGNIS n’est pas seulement un lieu de propositions autour de la communication. Il doit être un lieu de discernement spirituel partagé et de formation éthique. Nous devons nous donner des espaces en dehors de notre « bloc » afin de ne pas être piégés dans la « chambre d’écho » et d’être capables de relever les défis à partir du cœur spirituel qui nous anime. La communauté ecclésiale est mise au défi d’ouvrir des espaces de communion où nous pouvons nous faire confiance et nous confier les uns aux autres pour aborder des questions qui sont d’ordre professionnel mais qui ont des connotations personnelles.
Comme le dit le pape François : « La réponse n’est pas écrite, elle dépend de nous. C’est à l’homme de décider s’il devient la nourriture des algorithmes ou s’il nourrit au contraire son cœur de liberté, ce cœur sans lequel nous ne grandirons pas en sagesse. Cette sagesse mûrit en profitant du temps et en comprenant les faiblesses. Elle grandit dans l’alliance entre les générations, entre ceux qui ont la mémoire du passé et ceux qui ont la vision de l’avenir. Ce n’est qu’ensemble qu’elle grandit dans la capacité de discerner, de veiller, de voir les choses à partir de leur accomplissement ». Un véritable défi.