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TOTEM de Lila Avilès – prix œcuménique Berlinale 2023

Tótem est un film d’amour qui débute façon puzzle, ne distillant que quelques bribes de l’histoire avant de basculer vers le côté sombre. Le deuxième long-métrage de la réalisatrice mexicaine Lila Avilès est le portrait touchant d’une famille aimante qui fait face au stade terminal de la maladie d’un de ses membres.

TOTEM de Lila Avilès. France/Mexique/Danemark, 2023, 1h35. Avec Montserrat Marañon, Mateo Garcia, Iazua Larios. Sélection officielle Berlinale 2023, prix du jury œcuménique.

Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France.

L’histoire est racontée du point de vue de sa toute jeune fille, Sol, 7 ans, et se déroule au cours d’une journée très particulière. Les plans serrés sont particulièrement appropriés au récit intimiste. Tout se déroule dans la maison familiale sans autre contexte géographique. L’atmosphère joyeuse du début vire lentement vers quelque chose de plus pesant sans jamais tomber dans le pathos. L’équilibre est subtilement tenu entre des moments franchement drôles et d’autres tellement plus dramatiques.

Les personnages sont particulièrement réalistes si bien que l’on n’a pas de mal à se sentir inclus dans le clan familial. Sol se trouve au milieu d’un monde d’adultes, dans la maison du grand-père, microcosme d’une famille réunie pour préparer la fête anniversaire de Tonatiuh, ce père, mari, fils, frère. Le film est centré sur la relation de la fillette à son père gravement malade et mourant. La famille est le totem : le groupe reste le protecteur indéfectible de l’individu en détresse, célébré dans la fête comme un dernier cadeau.

La petite fille, interprétée par Naíma Sentíes, s’évade de l’ambiance chaotique dans laquelle tout le monde s’affaire. Elle est là sans être là et nul ne semble vraiment faire attention à elle. Elle se retrouve alors témoin privilégiée des conversations légères ou graves des grands. Elle embrasse l’essence du lâcher-prise comme une libération pour l’existence, face à l’absence déjà palpable de ce père qu’elle cherche sans cesse.

À travers elle, nous plongeons au cœur d’un huis-clos familial où tendresse et ouverture aux autres se mêlent à la douleur de la perte d’un être cher. L’ambiance n’est pourtant pas triste autour du mourant qui donne le change une dernière fois à sa famille et à ses amis. Tous sont là réunis pour lui et lui réservent une fête d’anthologie. On retrouve ici la façon très particulière qu’ont les Mexicains d’accepter la mort, en l’abordant très ouvertement.

Certains personnages sont même franchement décalés comme la vieille femme qui fait le tour de la maison en aspergeant les murs de chaque pièce pour y chasser les mauvais esprits.

La personne au centre de tout ne fait pas partie de la famille et pourtant elle en connait tous les secrets. C’est l’infirmière, qui est pleinement intégrée au sein du foyer et en constitue la mémoire vivante. Seul personnage calme et serein au cœur du désordre, elle est la béquille sur laquelle se repose Tonatiuh. Son nom, Cruz, n’est pas choisi au hasard. Elle est l’appui indispensable du mourant sur son chemin de croix.

On est bouleversé par la façon tendre et complexe d’illustrer l’amour qui soude cette famille, sans le dénaturer ni l’idéaliser. À la fois choral et intime, le film met au centre du jeu une petite fille émouvante de gravité, de profondeur, de lucidité aussi car elle perçoit que quelque chose est en train de basculer dans son univers.

En parfaite communion, le Jury œcuménique a choisi à l’unanimité de donner son Prix à Tótem lors de la Berlinale 2023 car le film met en évidence la sensibilité particulière qu’a la culture mexicaine d’aborder la mort tout en célébrant la vie.

Anne Le Cor

LES PRIX DU JURY OECUMÉNIQUE Berlinale 2023

Tótem de Lila Avilés (Mexique, Danemark, France, 2023).

Justification : Le film est un portrait touchant d’une famille qui fait face au stade terminal de la maladie d’un de ses membres. L’histoire est racontée du point de vue de sa toute jeune fille et se déroule au cours d’une journée très spéciale. Le Jury a été bouleversé par la façon tendre et complexe d’illustrer l’amour qui soude cette famille, sans le dénaturer ni l’idéaliser. Le film met en évidence la sensibilité particulière qu’a la culture mexicaine d’aborder la mort tout en célébrant la vie.

Le Jury a aussi décidé de donner une Mention Spéciale à :

Sur l’Adamant de Nicolas Philibert (France, Japon 2022)

Motivation : Pour son approche respectueuse de patients d’un hôpital psychiatrique de jour qui se rencontrent sur une péniche amarrée aux quais de la Seine pour retrouver le sens du vivre ensemble.

Le jury a décerné son Prix dans le Panorama, doté de 2.500 € par la Conférence des évêques catholiques d’Allemagne (DBK) à :

Sages-femmes de Léa Fehner (France 2023).

Motivation : Pour la représentation forte et authentique du service de néonatalité d’un hôpital public parisien. Le film montre l’intensité du travail quotidien et les défis que les soignants rencontrent et surmontent. Le film montre avec brio les lacunes du système d’une part et le dévouement du personnel accompagnant les femmes qui s’apprêtent à mettre au monde un enfant d’autre part. Le mélange des genres entre documentaire et fiction ajoute à l’impact du film.

Le jury a décerné le Prix dans le Forum, doté de 2.500 € par l’Église Protestante d’Allemagne (EKD) à :

Jaii keh khoda nist (Where God Is Not) de Mehran Tamadon (France, Suisse 2023).

Justification : Comment raconter l’horreur de l’emprisonnement politique et de la torture ? Le cinéaste et architecte iranien Mehran Tamadon, qui vit en France depuis sa jeunesse et revient régulièrement dans son pays natal, a trouvé un chemin impressionnant pour répondre à la question. Il place ses personnages Homa Kalhori, Taghi Rahmani et Mazyar Ebrahimi dans un espace qui recrée leurs anciennes prisons, « là où Dieu n’est pas », comme l’a dit l’un des geôliers à Homa Kalhori. Et en tant que tel, cela devient un scénario brut qui déclenche en eux des souvenirs de souffrances passées, d’humiliations et de tortures. Un tel dispositif cinématographique original permet une reconstitution en forme de performance qui les amène à partager leurs expériences poignantes et devient une dénonciation d’une réalité qui est encore celle de l’Iran d’aujourd’hui.

Les membres du jury : Paul de Silva (Canada), Alberto Ramos Ruiz (Cuba), Anne le Cor (France), Arielle Domon (France), Kerstin Heinemann (Allemagne), Miriam Hollstein (Allemagne), Présidente du jury 2023.

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