Un journaliste de musique new-yorkais mène l’enquête sur la disparition, en 1976, à la veille du coup d’état en Argentine, de Francisco Tenório Jr, pianiste brésilien virtuose.
THEY SHOT THE PIANO PLAYER de Fernando Trueba. Portugal/Pays-Bas/Espagne/France, 2023, 1h43. Film d’animation.
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
Il y a presque 50 ans disparaissait Francisco Tenório Junior à Buenos Aires. Pendant tout ce temps, le musicien brésilien n’a été qu’un nom parmi les quelques 30 000 « desaparecidos » de la dictature argentine. Mais voilà que le pianiste reprend vie grâce au dernier film d’animation du duo espagnol Fernando Trueba et Javier Mariscal, They Shot The Piano Player. Sous couvert d’une enquête journalistique, le film met à l’honneur les grands noms du Jazz brésilien et de la Bossa Nova.
Le réalisateur Fernando Trueba s’est choisi un avatar en Jeff Harris, son personnage principal. C’est le journaliste new-yorkais spécialisé dans la musique qui se lance dans une enquête sur la disparition de Tenório. Le réalisateur, qui souhaitait dans un premier temps faire un documentaire, a lui-même effectué plus de 150 interviews des musiciens avec lesquels Tenório avait joué, des personnes qu’il avait connues et même de son épouse qui jusque-là, avait toujours refusé de parler de son mari.
Finalement, Trueba a opté pour un film d’animation et a fait appel au graphiste et auteur de bande-dessinée Javier Mariscal. Ensemble, ils choisissent de réaliser un dessin-animé de facture plutôt classique, collant ainsi avec l’époque des années 1970. Le style coloré vient égayer la période de liberté fragile et de créativité féconde qui a précédé l’avènement de la dictature.
Le film nous fait voyager de New-York au Brésil en passant bien sûr par l’Argentine. L’enquête se déroule avant tout dans le monde de la musique, là où ni les frontières ni les différentes langues parlées, où plutôt chantées, n’ont d’importance. Voilà bien le point fort du film, qui se focalise davantage autour de la musique et des musiciens que sur l’enquête.
De fait, on retrouve à l’écran tous les grands noms de la musique brésilienne. On revoit Vinicius de Moraes, avec qui Tenório était en tournée au moment de sa disparition. Il y a aussi les témoignages de Caetano Veloso, Gilberrto Gil et bien d’autres encore qui attestent, parfois de leur propre voix, de l’importance et de l’influence de Fransisco Tenório sur leur musique. Avec eux, c’est toute une époque qui revit.
Omniprésentes en fond sonore, les musiques envoûtantes aux rythmes chaloupés de tous ces grands noms virevoltent aux oreilles du spectateur qui se laisse entraîner dans la danse. Fernando Trueba est lui-même un passionné de musique, tout comme son compère Javier Marsical avec lequel il a déjà réalisé un dessin-animé musical intitulé Chico et Rita.
They Shot The Piano Player offre un beau voyage au cœur des mythes et des rythmes brésiliens. Le film nous transporte du nord au sud du continent américain, avec sans cesse des paysages différents. L’intrigue oscille entre aujourd’hui et les années 1970 dans des flashbacks qui font revivre Fransisco Tenório. Sa mort sous la torture, si elle n’est pas prouvée, parait évidente. Elle vient rappeler le triste sort, encore non résolu, des milliers d’enfants perdus sous les coups des bourreaux de la dictature argentine.
Anne Le Cor