MédiasLes Chroniques CinémaTHE OUTRUN / L'ECART de Nora Fingscheidt

THE OUTRUN / L’ECART de Nora Fingscheidt

Victime de son addiction et écartelée entre l’île sauvage dont elle est originaire et les tentations de la grande ville, une jeune femme cherche un lieu et un espace où elle sera en paix, loin de toute tentation mortifère.

THE OUTRUN de Nora Fingscheit. Allemagne/Grande-Bretagne, 2024, 1h54 Avec Saoirse Ronan, Paapa Essiedu, Stephen Dillane, Saskia Reeves, Nabil Elouahabi. Berlinale 2024, section Panorama.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

Inspiré du récit autobiographique d’Amy Liptrot, l’Ecart (the Outrun, 2016), le film met en scène le long combat de Rona pour sortir de l’alcoolisme. C’est une jeune femme intelligente, elle prépare une thèse en biologie à Londres et a envie de profiter de la vie dans la capitale, de faire la fête sans contrainte, elle qui vient d’une petite île rurale des Orcades, au nord de l’Ecosse. Des paysages sauvages, où la présence de la mer est envahissante (comme la mère de Rona ?), où le vent souffle en permanence et où ne poussent que des moutons. Mais peu à peu, dans cette grande ville où la nuit ne tombe jamais, Rona devient de plus en plus dépendante à l’alcool, mettant en danger son couple et sa vie.

Dans son précédent film (prix œcuménique au Festival international de Kiev en 2019 pour System Crasher, sorti en France avec le titre de Benni), Nora Fingscheidt avait choisi comme personnage principal une très jeune fille qui faisait exploser les services sociaux par la rage avec laquelle elle luttait pour éviter d’être placée et apaisée. On retrouve cette énergie, à la fois dangereuse et salvatrice, chez Rona qui va mettre du temps à accepter sa dépendance et qui sait qu’elle doit pousser très loin son isolement pour se tenir à distance de ses tentations, pour se protéger d’un milieu familial toxique, sans pour autant renoncer à l’affection et à la tendresse envers ses parents.

La première partie du film brouille le récit, enchaînant des scènes du passé et du présent, passant de douloureuses sensations à des moments très factuels, semant la confusion chez le spectateur comme chez la protagoniste. Pour sortir de cette dépendance mortifère, Rona doit se reconnecter à la réalité. Quoi de mieux pour se confronter à la violence que celle de l’océan un jour de tempête ? Dans un hiver très sombre, dans ce bout du monde qui est comme le point ultime de la dépendance et de la survie de Rona, elle plongera dans l’eau glaciale pour se sentir à nouveau vivante.

C’est dans ces paysages sublimes, à la fois magnifiques et effrayants, que se déroule principalement le récit. En Anglais,  »outrun » a un sens de dépassement et c’est bien ce que doit accomplir Rona : dépasser son addiction, dépasser ses peurs, son malaise face à ses origines. C’est justement la Nature, celle de ses origines, rude, déchaînée, isolée, âpre et peu généreuse qui va lui permettre de se réconcilier avec elle-même, de prendre la violence qu’elle mettait à se perdre pour se retrouver. Un jour après l’autre, pas à pas, le regard porté sur le minuscule, comme les algues des plages, si banales, si petites, si peu remarquées, mais qui permettront peut être un jour de sauver notre humanité.

The Outrun est porté par la présence lumineuse de Saoirse Ronan. La caméra ne lâche pas l’actrice un instant, que ce soit dans les gros plans où la peur traverse son regard transparent, ou dans les plans larges où il faut chercher sa minuscule silhouette au milieu du chaos des falaises et d’une mer furieuse. C’est l’itinéraire âpre d’une jeune femme en lutte contre elle-même et qui trouve, dans la proximité de la Nature la plus rude, un chemin de rédemption.

Magali Van Reeth

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