Porté par une mise en scène efficace, Dani Rosenberg filme la fuite d’un jeune soldat israélien dépassé par les conséquences de sa désertion. Le Déserteur est un film autant courageux que troublant qui résonne fort dans le contexte actuel : période de conflit entre Israël et le Hamas. Un voyage haletant, une ode à une jeunesse bousculée dans ses idéaux.
LE DESERTEUR de Dani Rosenberg. Israël, 2023, 1h38. Avec Ido Tako, Mika Reiss, Efrat-Ben Tzur.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Shlomi,18 ans, jeune soldat israélien, enrôlé malgré lui dans un conflit qui le dépasse, ne tient pas en place. Il se trouve au cœur de l’action en pleine zone de guerre, dans la bande de Gaza. Les bombes explosent autour de lui et des autres soldats adolescents. Il décide de fuir le service militaire obligatoire et le chaos de la bande de Gaza, devenant «le soldat disparu» (The Vanishing Soldier titre original plus en phase avec le récit que Le Déserteur). Shlomi s’enfuit pour retrouver son amoureuse à Tel-Aviv, qui travaille dans un restaurant. Le but est de lui demander sa main. Entre ses fiançailles et l’avenir de son pays, il n’y a pas à hésiter.
Déserteur sans l’avoir vraiment prévu, rebelle sans véritable cause, il «cavale» à pied, à vélo, en voiture, alors qu’un piège se referme sur lui : l’armée le croit aux mains de l’ennemi,enlevé par un commando palestinien. Tsahal lance des représailles sur Gaza.
Ce film a été réalisé avant le massacre perpétré en Israël par le Hamas le 7 octobre 2023 et la guerre toujours en cours, en particulier dans l’enclave palestinienne à Gaza. Le Déserteur a été tourné sur les lieux mêmes qui sont bombardés depuis le 7 octobre.
L’histoire s’inspire de la propre expérience du réalisateur israélien, lorsqu’il était lui-même soldat. L’idée lui vient de déserter le temps d’une nuit pour vivre une aventure et s’échapper de la violence de son quotidien. Après avoir erré jusqu’au petit matin sans avoir connu quelque chose de particulier, il rentre au camp où personne ne s’est aperçu de son absence. C’est en repensant à cet épisode de sa vie que Dani Rosenberg s’attaque à l’écriture d’un scénario qui montrera l’évasion de son personnage là où la sienne s’est arrêtée. Ainsi commence l’histoire de Shlomi, soldat encore trop jeune pour admettre la réalité de son quotidien.
La situation de Shlomi le place dans une situation impossible, absurde, révélatrice des traumas d’une jeunesse qui tente de vivre. Shlomi tente de retrouver l’insouciance de son âge dans un monde au sein duquel la menace et la paranoïa planent. Dans les bars de Tel-Aviv, la fête est interrompue par des alertes. Et cette ville que le cinéaste nous présente comme vivante et vibrante, agitée et cosmopolite, paranoïaque et insouciante, hédoniste et touristique, est en réalité dévorée par l’angoisse.
Si Le Déserteur est un film pacifiste dans le sens où il ne contient pas de message explicitement trop politique ni de propagande, le conflit n’est pas occulté. Il apparaît certes à la marge mais il est toujours présent. Le réalisateur s’intéresse au présent de son pays et au statut de ce conflit qui frappe encore aujourd’hui. Sans verser dans l’absurde ni dans le pamphlet anti-guerre, Dani Rosenberg évoque la question complexe du conflit qui mine le Moyen-Orient et offre une réflexion réaliste sur le prix payé par une jeunesse qui doit conjuguer ses ambitions avec le devoir patriotique.
Le choix des couleurs, l’optimisme et le magnétisme, du jeune héros, des ambiances comiques voire burlesques, la course éperdue de ce jeune soldat plus rêveur que déserteur, égaient ce film et montrent «la fureur de vivre» face au chaos du monde et à la logique de cette guerre sans fin.
On peut penser à juste titre que Dani Rosenberg a pris des risques en tournant ce film qui ne facilite pas la compréhension du conflit entre la Palestine et Israël. Avec ce portrait d’un soldat israélien, le réalisateur met surtout en scène le désir de la jeune génération de fuir la violence dans laquelle le pays est plongé depuis si longtemps.
Plaidoyer contre la guerre, montrant les tentatives d’un homme représentatif d’une jeunesse vivante, essayant de retrouver, le temps d’un instant, l’existence qu’il a perdu. Le Déserteur a remporté en octobre 2023 le prix de la critique lors de la 45e édition du festival Cinémed de Montpellier. Un choix symbolique en pleine guerre entre Israël et le Hamas.
Philippe Cabrol