Les lettres que madame de Sévigné a écrites en majeure partie à sa fille, Mme de Grignan, furent recopiées et lues à un entourage plus large ; elles allèrent même jusqu’à l’oreille du Roi. Considérées comme un trésor littéraire, elles ont considérablement enrichi les recherches historiques. Ce long-métrage d’Isabelle Brocard est librement inspiré de ces lettres.
MADAME DE SEVIGNE d’Isabelle Brocard. France, 2023, 1h32. Avec Karin Viard, Ana Girardot, Cédric Kahn
Critique de Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France
Réalisant un film émouvant qui traduit superbement la quintessence de ce XVIIème siècle de Louis XIV où l’art, l’esthétique, la réflexion issue des salons se propagent aisément, Isabelle Brocard confie ne pas avoir voulu faire un biopic et, en accentuant les traits de caractère des protagonistes, elle en a fait »une histoire contemporaine qui se déroule au XVIIᵉ siècle » sur la relation mère / fille houleuse et atemporelle.
Madame de Sévigné, née Marie de Rabutin-Chantal en 1626 est la petite fille de Jeanne de Chantal – canonisée en 1767. Marie est orpheline à l’âge de 7 ans. Elevée par son oncle, elle reçoit une éducation moderne et libre, lisant des auteurs contemporains et développant son esprit par la conversation. Mariée puis veuve avec deux enfants, madame de Sévigné est une femme d’esprit et de cœur ; elle est aussi une femme indépendante, incroyablement moderne pour son époque, à la fois sensible et joyeuse, maniant l’humour avec dextérité.
La réalisatrice confie à Karine Viard le rôle qu’elle assume avec spontanéité, perspicacité et autorité : la marquise de Sévigné tente de faire de sa fille une femme indépendante mais celle-ci se rebelle. Françoise, interprétée Ana Girardot, est d’une rare beauté, »la plus jolie fille de France » d’après le cousin Bussy-Rabutin de madame de Sévigné ; cette enfant chérie, »de qui les attrait servent aux Grâces de modèle » comme dira La Fontaine, a dix-sept ans quand elle se fait repérer dans un ballet de cour.
Grave et sérieuse, Françoise admire Descartes ; elle épouse le comte de Grignan (Cédric Kahn), lui donne un premier enfant puis va le rejoindre en 1671 en Provence, dans son château de Grignan où elle vivra. Elle laisse à Paris sa mère inconsolable qui ne cessera alors de lui écrire.
Comme le montre la réalisatrice, madame de Sévigné reconnaît la nécessité de se donner à voir, pour combler ce vide immense et pour donner l’illusion de sa présence et ainsi de se laisser aller aux confidences dans ses lettres si célèbres qui sont un trésor littéraire regorgeant de petits détails sur le XVIIᵉ siècle. Madame de Sévigné s’intéresse à des domaines très variés ; la vie quotidienne rythmée de rencontres, d’événements, de discussions de salon sur la liberté et l’indépendance, mais aussi les rêveries auxquelles elle s’adonne dans la nature exubérante de son domaine breton du château des Rochers.
La lecture cinématographique de ces lettres nous offre un aperçu intime de la vie quotidienne de madame de Sévigné qui n’hésite pas à les écrire en déshabillé et cheveux lâchés. Elle témoigne de ses sentiments, de sa tendresse débordante et de la force de son amour au plus près de son état d’âme ; elle dévoile même de ses émotions et de son inquiétude maternelle perceptible lorsqu’elle écrit sa crainte de voir sa fille enceinte rejoindre son mari en Provence après avoir traversé le Rhône à Avignon tandis que la tempête fait rage.
Mais Madame de Sévigné, que l’on présente forte et indépendante est pourtant tellement dépendante de son amour passionnel pour sa fille de sorte que cela la rend possessive au point que sa très chère amie, Madame de Lafayette (interprétée par Noémie Lvovsky) lui en fait la remarque.
A notre époque, on dirait que ce lien tellement fusionnel entre la mère et la fille devient presque toxique. Ayant déjà réalisé un long-métrage en 2011 Ma compagne de nuit qui décrivait déjà un lien puissant unissant deux femmes, la réalisatrice Isabelle Brocard a souhaité dans ce film marcher dans les pas de madame de Sévigné unie à sa fille dans une relation fusionnelle mais défectueuse. Il serait peut-être intéressant de se pencher sur les propos qu’elle tient à sa fille : »Je vous veux heureuse et maîtresse de votre destin », mais paradoxe de cette relation, Françoise de Grignan n’est en aucun cas maîtresse de son destin puisqu’elle n’existe qu’en creux dans l’œuvre de sa célèbre mère, madame de Sévigné.
Chantal Laroche Poupard