Après avoir annulé son mariage, Aya quitte la Côte d’Ivoire pour la Chine. Sa passion pour le thé la mènera à une romance particulière avec Cai, son patron chinois.
BLACK TEA d’Abderrahmane Sissako. France/Mauritanie/Luxembourg/Côte d’Ivoire/Taïwan, 2023, 1h49. Avec Nina Mélo, Han Chang, Ke-Xi Wu. 74° Berlinale, compétition officielle.
Critique de Pierre-auguste Henry, SIGNIS France
Avec Timbuktu, prix du Jury Œcuménique au Festival de Cannes 2014, Abderrahmane Sissako s’est établi comme une des principales voix du cinéma africain contemporain. 10 ans plus tard, le réalisateur mauritanien (Bamako, La Vie Sur Terre) revient sur le devant de la scène avec Black Tea, présenté en compétition à la Berlinale.
Les relations croissantes en l’Afrique et la Chine n’ont pas ou peu été mises à l’écran pour des œuvres de fiction, et c’est ce qui fascine dans Black Tea : une romance aussi singulière qu’universelle entre une trentenaire ivoirienne expatriée à Guangzhou et un quadra chinois faisant tourner un commerce d’import-export de thé.
Partie de Côte d’Ivoire après avoir « dit non » à son mariage, Aya (Nina Mélo) fait figure de femme forte et libre sans que nous n’en ayons immédiatement l’explication. A Guangzhou, elle vit à Chocolate City, le quartier africain de la 3ème ville chinoise où les Ivoiriens, Maliens et Sénégalais s’expriment tous dans un mandarin parfait. Elle se passionne pour le thé et l’attention particulière que lui porte la culture chinoise : temporalité, dégustations et rituels quasi cérémonieux.
Elle vit cette passion à travers son patron Cai (Han Chang), jusqu’à ce qu’on comprenne que c’est peut-être sa passion pour Cai qu’elle vit à travers le goût du thé. Leur attirance mutuelle semble s’expliquer par de tortueuses histoires en commun, amoureuses ou familiales, ce qui ne sera révélé qu’au compte-goutte durant le film.
Plutôt que d’aller chercher de la rationalité à cette romance, Sissako choisit un angle sensuel et pudique qui fait penser à Wong Kar Waï. Gestes lents, élégants et maîtrisés, une photographie de nuit très asiatique, un éclairage mettant en valeur les coiffes et costumes cintrés fusionnant les 2 cultures. Le film porte donc une attention centrale à la sensualité et ne distille que prudemment quelques éléments ou indices sur les histoires personnelles des deux amoureux, jusqu’à ce que la dernière demi-heure n’éclaircisse à la fois le mariage annulé d’Aya et les tourments africains de Cai.
Ce parti-pris surprenant dans l’absolu n’est en fait pas un grand écart pour Sissako, lui qui a toujours pris le temps de filmer ses sujets. Avec Black Tea, Sissako s’ouvre à de nouveaux horizons cinématographiques sans trahir ce qui fait la particularité de son regard. Filmer la découverte amoureuse comme une cérémonie du thé, c’est l’idée qui fait de Black Tea un film singulier – bien plus que les origines et blessures de chacun.
Pierre-Auguste Henry