Durant le premier hiver de la guerre de Sécession aux Etats-Unis, alors que les batailles se concentrent au Sud-Est, une petite troupe de soldats de l’Union est envoyée dans le grand Ouest américain pour sécuriser des territoires inexplorés.
LES DAMNES de Roberto Minervini. Italie/Belgique/Etats-Unis, 2024, 1h29. Avec Jeremiah Knupp, René W. Solomon, Cuyler Ballenger, Noah Carlson, Judah Carlson, Tim Carlson. Festival de Cannes 2024, sélection Un Certain Regard, prix de la mise en scène.
Critique de Pierre-Auguste Henry, SIGNIS France
En 1862, des batailles sanglantes font rage dans le flan Atlantique des Etats-Unis. La guerre s’est déclenchée un an auparavant en Caroline et oppose le camp de l’Union (au Nord) aux Etats Confédérés (au Sud). Le reste du pays n’est bien sûr pas isolé du confit, mais dans les vastes plaines du grand Ouest on est loin du front et plutôt occupé à protéger les routes commerciales d’attaques attribuées aux Indiens. Les terres peu peuplées et enneigées de ce qui deviendra le Montana, où le tournage à eu lieu, hébergent quelques colons rebelles dont certains partent garnir les rangs des sécessionnistes au Sud. Tout cela décidera Lincoln à envoyer des soldats de l’Union sécuriser ce territoire stratégique. Il n’y aura pas d’affrontement avec les forces confédérées mais le sang coulera tout de même par le massacre de tribus, notamment Shoshones, faisant rentrer le grand Ouest dans l’histoire de la guerre civile américaine.
C’est le début de cette histoire que le réalisateur italien Roberto Minervini a choisi de raconter dans Les Damnés, avec son approche particulière. Expatrié aux Etats-Unis depuis ses études, Minervini est connu pour ses documentaires aux limites de la narration, quand le réel semble fictionnaliser. Il s’agit ici d’une fiction, avec des vrais acteurs et des rôles, mais qui semble vouloir plus observer que narrer.
Les Damnés est donc un film d’époque et en costume dont l’action se situe dans l’actuel Montana, où une petite troupe de volontaires est envoyée patrouiller dans des régions inexplorées et supposément hostiles. Ce sont des soldats unionistes bien armés et appuyés par quelques cavaliers, mais on tombe surtout des « bleus » de tous âges qui découvrent le maniement des armes et s’inquiètent de devoir bientôt tuer. De caractère bien différents, plus ou moins convaincus de leur mission, certains croyants et d’autres pas du tout, tous sont contraints à l’entraide par l’hiver autant que par la possibilité permanente d’une attaque.
C’est un anti-film de guerre : on y voit surtout la vie de patrouille, à pied car il n’y a pas de chevaux pour tout le monde, et la vie de camp où l’on pense au combat à venir, qui tarde à venir, qui ne viendra peut-être pas. Les Damnés filme une mécanique psychologique du soldat, entre perte de soi collective jusqu’à imaginer la nécessité de l’ennemi et des moments introspectifs où l’absurde de la situation est révélée par la magnificence et la rudesse de la nature.
On retrouve l’idée de grands films anti-guerre comme La Ligne Rouge (Terrence Malick, 1998) mais à la forme bien moins lyrique et dans un dépouillement quasi-total du récit, laissant place à l’observation de cette attente du combat. Les Damnés est porté par une très belle photo du Montana en hiver, de beaux costumes et un dispositif bien exploité qui vaut un prix de la mise en scène dans la sélection Un Certain Regard du dernier festival de Cannes.
Pierre-Auguste Henry