»Toute prison a sa fenêtre » écrivait l’auteur français Gilbert Gratiant. JR semble l’avoir pris au mot en se lançant dans le projet fou de créer une fresque éphémère réalisée à partir du collage des portraits géants de détenus parmi les plus dangereux dans une prison californienne. Ce documentaire de l’artiste contemporain devenu réalisateur, en retrace les étapes et nous livre les visages et les âmes d’hommes en quête de rédemption.
TEHACHAPI de JR. France, 2023, 1h32. Documentaire.
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
Le hasard fait bien les choses. Le projet résonne pour le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, qui lui-même avait participé à la création d’une fresque gigantesque de l’artiste français à San Francisco. JR a donc eu le loisir de choisir, parmi les 37 prisons de haute-sécurité de l’état, celle où réaliser son projet. Il consulte alors les vues aériennes de chacune d’elles. Car il recherche quelque chose de particulier : une cour dégagée, à ciel ouvert. C’est à Tehachapi, située en plein désert, qu’il trouve son bonheur.
JR a beau nous raconter son arrivée dans la prison d’une voix sereine, on devine qu’il n’en mène pas large à l’approche des murs hauts et froids de l’établissement pénitentiaire par un petit matin d’hiver. Face à 30 gaillards, volontaires certes mais somme toute impressionnants, il brise la glace d’entrée en serrant la main de chacun d’eux. En échange, les détenus énoncent leur prénom. Au-delà des visages tatoués et de la tenue beige des condamnés, ils ont une identité. Dès le début, le projet se place du côté de l’humanité et de la dignité.
C’est le choix artistique de JR de ne se focaliser que sur l’art et l’humain. La prison est là bien sûr qui sert de décor mais elle s’efface au profit de ses occupants, et essentiellement des prisonniers. Si JR est présent dans le film à l’image et en voix-off, il y a un deuxième fil conducteur en la personne de Kevin. On le remarque tout de suite, la croix gammée tatouée sur sa joue attirant le regard et la méfiance. Pourtant, au-delà des apparences, un regard doux et un large sourire le caractérisent vraiment.
Entre JR et les prisonniers l’alchimie opère et ce qui n’était pour ces derniers qu’un projet de réinsertion parmi d’autres devient quelque chose de spécial. La vision de leurs têtes de géants imprimées sur le sol de la cour de promenade leur redonne un peu de leur honneur perdu. La fresque est une fenêtre sur cour qui les rend visibles aux yeux du monde.
Les gangs noirs, latinos et les suprémacistes blancs qui se font d’ordinaire une guerre à mort à l’intérieur de la prison, semblent oublier leurs différences et même les gardiens finissent par participer au collage, dans un sursaut de fraternité inédit. Le Covid vient briser l’élan et interrompt le projet un temps. Pour JR, de retour en France, la vie et le bonheur continuent. Il devient père, mais il n’oublie pas Tehachapi.
Il y revient finir le projet. Cette fois-ci, il voit plus grand encore et grâce à la magie du trompe l’œil, ce sont les collines environnantes qui viennent enjamber les murs de la prison. La fresque n’offre plus seulement une fenêtre vers l’extérieur, c’est carrément un panoramique.
Le documentaire ne s’attarde pas sur les crimes commis – forcément lourds – ni sur l’univers carcéral. Ce dernier offre deux visages, à la fois répressif et déshumanisant mais aussi bienveillant et ouvert sur l’avenir du prisonnier. Des programmes de réinsertion sont mis en place et la justice restauratrice y est pratiquée lors d’une scène émouvante où un homme qui a perdu un fils dialogue avec un détenu qui se rend compte que l’homme qu’il a tué était aussi un père.
La prison est un monde presqu’exclusivement masculin et d’où les femmes sont physiquement absentes, pourtant elles sont omniprésentes dans le film. Ce sont les mères, les sœurs, les filles et les petites amies des détenus qui ne parlent que d’elles. Quand ils sortent, elles sont là pour les accueillir avec bienveillance. Dans un monde sans foi ni loi, elles sont le repère et l’espoir d’un avenir meilleur possible. JR va à leur rencontre et leurs témoignages sont empreints de beaucoup de sagesse et de dignité.
Le film se termine hors des murs, avec Kevin en liberté. Il se défait de sa croix gammée sur le visage comme on se débarrasse d’une veille peau dans une mue salvatrice. Puis il s’adonne à une plongée purificatrice dans l’eau de l’océan. Ce baptême à la vie lui ouvre la porte vers une renaissance tant attendue et un horizon palpable.
Tehachapi se veut un film militant sur la possibilité de réinsertion des pires individus, une fois qu’ils ont pris conscience de leurs méfaits et qu’ils se montrent désireux de réintégrer la société. JR choisit son angle d’attaque à travers l’art et pose un regard sans jugement et plein d’humanité sur une catégorie d’hommes qui s’accrochent à leur dignité et prouvent ostensiblement que la rédemption existe.
Anne Le Cor