MédiasLes Chroniques CinémaROSALIE de Stéphanie di Giusto

ROSALIE de Stéphanie di Giusto

Dans ce film d’époque aux images somptueuses, Stéphanie di Giusto livre le double portrait d’une femme étonnante et d’un couple improbable, pour nous parler de différence, de tolérance et de liberté. Un chemin de conversion difficile jusqu’à l’amour sans condition.

Rosalie de Stéphanie Dui Giusto. France, 2024, 1h55. Avec Nadia Tereszkiewicz, Benoît Magimel, Benjamin Biolay. Festival de Cannes 2023, sélection Un Certain Regard.

Critique de Patrick Lauras, SIGNIS France

Années 1870, Rosalie a appris de son père à soigner son apparence, rasage tous les matins. C’était une injonction d’ailleurs : cacher la honte, ce qu’il ne faut surtout pas montrer pour vivre normalement – quand bien même la médecine explique tout. Un non-dit sur sa pilosité extrême, qui prend qualité de mensonge quand Abel la découvre après leur mariage. Abel, un homme blessé à la guerre et par la guerre, une âme triste, propriétaire du bar du village délaissé par la clientèle et au bord de la faillite. Son premier sentiment sera la colère, son premier acte rejeter Rosalie.

Elle, a la vie chevillée au corps. Généreuse et sensuelle, Rosalie réussira bientôt à faire revenir les chalands, le bar réunit à nouveau la communauté. Découvrant que son état peut devenir sujet d’attraction, elle se libère des injonctions éducatives. Découvrant la force d’être elle-même, elle bouscule l’esprit de ces braves gens. C’en est trop sûrement, elle deviendra bouc émissaire d’une société patriarcale dans laquelle, hommes et femmes, patrons et ouvriers usent et abusent de morale pour soulager peur, jalousie ou rejet. Une foule bien-pensante, comparée à la meute d’une chasse à cour.

Un autre chemin intérieur sera celui d’Abel, passé sa colère première. Sauver puis recueillir. Respecter et prendre soin, par nécessité puis par tendresse. S’étonner et tolérer les projets extravagants de Rosalie, avant d’en épouser d’autres encore, et complètement. Découvrir l’attirance avant d’épouser le corps tout entier et son destin. Magnifique histoire d’amour en définitive, à contretemps d’un rejet social qui se précise.

Nadia Tereszkiewicz et Benoît Magimel sont bouleversants dans ces deux rôles opposés, lui en garde-chasse blessé par la vie et réapprenant à aimer, elle lumineuse, libre mais fragile. La mise en scène est particulièrement soignée avec en toile de fond une forge et des longères de Bretagne, des costumes aux couleurs de personnages. La caméra aux lumières douces est à l’image de ce conte dramatique mais subtil.

Non, Rosalie n’est pas une nouvelle fresque féministe anachronique et moraliste : le personnage de Rosalie est inspiré de nombreux traits de la vie de Clémentine Delait (1865-1939), femme dotée d’un féminisme étonnant et d’une pilosité hors normes. La réalisatrice n’a cependant pas voulu s’engager sur un véritable biopic, préférant une fiction romanesque, teintée de symboles sur la vie en communauté, l’altérité et l’amour. L’amour est un combat, nous dit-elle : aimer l’autre, s’aimer soi-même.

Un film propice au débat donc : Qu’est-ce que la féminité ? Comment vivre s’il n’est pas possible d’être soi-même ? Certains projets extravagants de Rosalie sont-ils vraiment de l’ordre de son identité ? L’injonction faite à Abel d’accepter tout de Rosalie est-elle juste, l’amour ne suppose-t-il pas un chemin l’un vers l’autre ?

Patrick Lauras

Latest

More articles