L’Amérique s’est toujours rêvée comme la nouvelle Rome. La civilisation antique domina son monde, avant la décadence et la chute. Dans son dernier film, Francis Ford Coppola offre deux visions du monde qui s’affrontent quant à l’avenir de l’humanité. Entre génie novateur et tradition immuable, l’avenir est à réinventer.
MEGALOPOLIS de Francis Ford Coppola. Etats-Unis, 2024, 2h18. Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza. Festival de Cannes 2024, en compétition officielle.
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
La Megalopolis de Coppola, si elle ressemble fort à New York, est une ville en plein chaos où les puissants cherchent par tous les moyens à préserver leur pouvoir et leurs privilèges face à un peuple misérable, au bord de l’explosion.
Le dernier Coppola est haut en couleur. Film futuriste, à la photographie dense et éclatante, Megalopolis offre un récit où se mêlent et s’entremêlent les intrigues familiales aux allures de drame shakespearien. Le film est inclassable et oscille entre science-fiction, avec des accents bizarrement datés d’un monde sans Internet ni téléphone portable, et péplum dystopique.
L’intertextualité semble partout présente et les références culturelles sont palpables, entre un monde à la Metropolis de Fritz Lang agrémenté de touches de Babylon de Damien Chazelle, parmi tant d’autres. Les personnages ont des noms évocateurs : César Catalina s’oppose à Franklyn Cicero ; quant au banquier, il s’appelle Crassus. Le casting impressionnant rassemble le tout Hollywood.
Adam Driver apporte son charisme et son magnétisme au personnage de César, architecte de génie et utopiste en chef de la construction de sa cité rêvée. Novateur, il mise sur le Megalon, un matériau révolutionnaire, pour bâtir sa Nouvelle Rome ; séducteur, il cache pourtant des zones d’ombres. Face à lui, Giancarlo Esposito incarne le maire Cicero qui s’acharne pour que rien ne change. Autour d’eux fourmillent tout un tas de personnages secondaires souvent extravagants comme Clodio Pulcher (campé par un Shia LaBeouf manipulateur) ou Wow Platinium (sous les traits d’une Audrey Plaza assez perchée).
Très attendu, plus de 10 ans après son dernier long-métrage, Francis Ford Coppola signe là un film ambitieux et complexe, qui semble prédire la chute de l’empire américain. La multiplicité des complots et machinations en tous genres rend la narration un peu brouillonne mais l’originalité de la réalisation, teintée d’onirisme, font de Megalopolis un film certes déroutant mais aussi fascinant. Fruit de 40 ans de gestation, il a déchaîné les critiques, souvent contre lui, lors de sa projection au Festival de Cannes.
Au final, c’est César et son projet de société utopique qui recueille tous les lauriers et se place à la tête d’une nouvelle oligarchie intimement liée à l’ancienne. Devenu le maître du temps, il domine son monde pour l’éternité. Un peu comme Coppola survole le cinéma mondial, qu’il a à jamais marqué de son empreinte de géant. Incompris de leurs contemporains, les génies ont l’audace de perturber les certitudes.
À nous, spectateurs et cinéphiles du monde entier, il livre Megalopolis en guise de testament cinématographique baroque. Résolument optimiste, le réalisateur américain se projette dans le futur et imagine une fin heureuse. Se prendrait-il pour le double de César ? Au crépuscule de sa vie, Coppola voudrait-il arrêter le temps ?
Anne Le Cor