Le 20° siècle a été une période d’intenses déplacements en Europe : famines, guerres, bouleversements politiques ont poussé sur les routes des millions de personnes. Dans un film délicat et touchant, le réalisateur raconte la parcours de ses grands-parents italiens, à la recherche d’une vie meilleure.
INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS d’Alain Ughetto. France /Italie/ Suisse/Portugal/ Belgique, 2021, 1h10. Film d’animation à partir de 8 ans. Sélection officielle Festival d’Annecy 2022, prix du jury. Prix Croire au cinéma 2024.
Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France
Au pied du Mont Viso, dans le petit village d’Ugheterra, la vie est rude dans les années 1890. Les paysans mangent la polenta à la fourchette pour faire durer les repas ; les hommes et les enfants, dès qu’ils sont un peu grands, vont régulièrement travailler de l’autre côté de la montagne, en France, comme manœuvres pour les adultes, bergers ou filles de ferme pour les plus jeunes. Luigi et Cesira se sont rencontrés sur le chantier de construction du tunnel du Simplon et ont décidé de tenter leur chance hors d’Italie.
Alain Ughetto a travaillé pendant presque 10 ans sur ce film d’animation. Les marionnettes, délicatement travaillées, évoluent dans des décors de carton, de pierre, de sucre, de brocolis et de châtaignes : toute les matières qu’on trouvait dans cette région très pauvre d’Italie à la fin du 19° siècle. Une évocation poignante. Ces personnages sont ses grands-parents paternels et le film est une longue conversation animée avec Cesira, sa grand-mère. Sans jamais se plaindre, elle raconte les déménagements fréquents pour aller là où il y a du travail, l’arrivée des 7 enfants mais aussi cette époque où on meurt jeune à cause de maladie, de sous-nutrition, d’accident, de guerre. Et la joie enfin d’avoir une maison et un terrain appelé »paradis ».
Dans ces décors aussi simples que beaux, la main du réalisateur intervient ça et là, pour montrer que c’est l’histoire de sa famille, son histoire. Les mains de Luigi, si fortes, si belles, ont permis de nourrir cette nombreuse famille, avec dignité. On les retrouve dans les mains de son fils Vincent, si habile en bricolage, et de son petit-fils Alain qui, de ses mains, fait revivre toute une époque, toute une histoire familiale.
Interdit aux chiens et aux Italiens est le récit d’une transmission mais aussi celle de déplacement universel. En Europe au 20° siècle, c’est l’évocation des Russes, des Irlandais, des Catalans, des Polonais… Alain Ughetto nous rappelle que, depuis que le monde est monde, les êtres humains se sont toujours déplacés. A l’inverse des plantes et des végétaux, ils n’ont pas de racine mais des pieds, des jambes et de l’espérance pour se déplacer, avancer, rechercher une vie meilleure. Hier comme aujourd’hui.
Le précédent film du réalisateur, Jasmine (2013) était un poème visuel et sonore, le récit en pâte à modeler d’un amour inabouti, une œuvre rare au cinéma mais pas forcément accessible à tous. Avec Interdit aux chiens et aux Italiens, il garde la poésie des formes, la finesse des personnages et, avec une mise en scène limpide, touche au cœur de chacun.
Le film d’Alain Ughetto était en compétition officielle au dernier Festival international du film d’animation d’Annecy, où il a reçu le prix du jury. Il a obtenu le Prix Croire au cinéma 2024, décerné par SIGNIS France et ses partenaires des médias catholiques.
Magali Van Reeth