Avec des images splendides, la parole des femmes se libère dans un lieu clos, où l’omniprésence de la nature, les rituels antiques et les chants en langue vernaculaire lui conférent une forte dimension sacrée.
SMOKE SAUNA SISTERHOOD d’Anna Hintz. Estonie/Islande/France, 2022, 1h29. Documentaire. Grand Prix au Fipadoc de Biarritz 2024.
Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France
Pour la réalisation de ce film, il y avait un défi technique à relever : comment filmer dans un sauna où l’atmosphère très chaude et humide est un danger pour les appareils de prise de vue et de son ? Et où placer la caméra dans un espace aussi exiguë ? Avec ténacité, Anna Hintz et son équipe ont réussi brillamment à dépasser ces obstacles. Le résultat est stupéfiant : dans cette ambiance suffocante, au milieu des fumées et de la sueur, la lumière dorée qui entre par la petite fenêtre du sauna et illumine les peaux rose des femmes, est un ravissement.
Le film débute par l’image d’une mère allaitant son enfant, et finira par l’évocation d’un rituel accompagnant la mort en Estonie. Tout le cycle de la vie est évoqué dans cette matrice, lieu clos, humide et protecteur du sauna. Dehors, les saisons se suivent et rythment le film, on s’en aperçoit lorsque les femmes sortent de cette atmosphère brûlante pour aller se plonger dans l’eau d’un lac gelé ou glacé. Bien sûr, les femmes sont nues mais la caméra les filme sans voyeurisme, sans jamais les sexualiser, avec toujours beaucoup de pudeur. On ne voit presque pas de visage mais des corps, loin des exigences de la publicité ou des médias, de véritables enveloppes corporelles, écrins de la personnalité et de l’âme de chacune.
Dans ce cocon protecteur où on est entre femmes, la parole circule sans jugement extérieur, coulant comme les gouttes de sueur au fur et à mesure de la montée en intensité, du renoncement à la peur d’être jugée, du refus des conventions sociales. Confessionnal laïque, les femmes parlent sans crainte de leur accouchement, leurs premières règles, leurs maladies, d’un viol lointain mais toujours douloureux. On se rend compte, ici comme ailleurs, que les mères et les grands-mères ont un rôle de transmission très important, que ce soit dans les rituels mais aussi, malheureusement, dans l’acceptation de la domination des désirs masculins, dont l’importance de la virginité sexuelle.
Dans l’intimité protectrice de cette chambre chaude et close, une communion se crée, entre femmes de différents milieux, par le chant et l’accomplissement de rituels traditionnels. La très belle photo, la lumière délicate et veloutée, la fumée, le sel, les herbes aromatiques, le va et vient entre le corps des femmes, source de vie et d’envie, et la Nature, tour à tour en sommeil ou en éclosion, tout le film tend vers le sacré. Un film envoûtant.
Magali Van Reeth