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MARIA de Jessica Palud

La réalisatrice Jessica Palud retrace avec pudeur le parcours atypique et traumatique de l’actrice Maria Schneider, tombée dans la dépression et la drogue après le tournage controversé du Dernier tango à Paris. Un drame sur la place des femmes dans le cinéma.

MARIA de Jessica Palud France, 2024, 1h40. Avec Anamaria Vartolomei, Yvan Attal, Matt Dillon. Festival de Cannes 2024, sélection Cannes Première.

Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France

 »J’ai eu une belle vie » : ainsi commence le récit de Vanessa Schneider sur sa cousine, l’actrice Maria Schneider (Tu t’appelais Maria Schneider). Mais Jessica Palud n’a pas retenu cette facette optimiste de la vie de Maria Schneider. La réalisatrice ne retient que quelques chapitres de l’ouvrage et le scénario du film se construit autour de la destruction et la fragile reconstruction de la comédienne.

Maria n’est plus une enfant et pas encore une adulte, elle a 19 ans en 1972 lorsqu’elle tourne un film devenu culte, Le Dernier tango à Paris. Elle accède rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au scandale.

À sa sortie en salles en 1972, ce film du réalisateur italien Bernardo Bertolucci déclenche un scandale. Qualifié de débauche sexuelle, ce long-métrage se voit immédiatement interdit aux mineurs. Acclamé par la critique, Le Dernier tango à Paris a été sélectionné pour les Oscars et a été un immense succès commercial. De son côté, l’actrice ne s’est vu proposer que des rôles dénudés et a été résumée à son statut d’objet sexuel. Le scandale est immense. L’Italie interdit le film, en détruit les copies et condamne même les deux comédiens à de la prison. Si Brando rentre tranquillement aux États-Unis, Maria reste seule dans la tourmente, traquée par la presse et très critiquée par le public. En 2013, Bertolucci confirmait que la comédienne n’avait pas donné son consentement et que sa réaction était authentique. Quand Bernardo Bertolucci choisit Maria Schneider pour son film, il lui avait dit  »Vous avez quelque chose de blessé qui me plaît beaucoup ».

Le film raconte donc Maria, adolescente rejetée par sa mère et en quête du regard de son père (le comédien Daniel Gélin qui ne l’a pas reconnue). Débutante au cinéma, elle est plus qu’étonnée quand elle fut choisie par Bernardo Bertolucci avec comme partenaire Marlon Brando, alors âgé d’une cinquantaine d’années. Un jour, sur le tournage, Bertolucci décide de changer une scène pour la rendre plus violente. Il donne ses consignes à Brando sans prévenir Maria. C’est donc sous le regard de toute l’équipe et pendant que la caméra tourne que Maria Schneider se fait plaquer au sol par Brando qui  la sodomise, s’aidant d’une motte de beurre. Bertolucci filme ta terreur et ta colère. (…) Ça n’a pas duré longtemps, mais pour toi, une éternité. » Cet extrait du livre devient le point culminant du film

Vu son succès, Le Dernier tango à Paris aurait pu permettre à Maria Schneider de devenir une star. Mais à cause de ce viol non consenti, de sa plongée dans les fêtes et la drogue, elle ne parviendra jamais à refaire surface. On la ramène toujours à cette sodomie à même le sol. Maria a été agressée et la réalisatrice nous dévoile la dévastation de cette jeune femme à cause de la perversité d’un cinéaste et de l’impunité d’une star.

Le film montre ce moment fatidique du point de vue de la jeune comédienne, très fortement choquée par la violence de l’agression. La caméra ne quitte pas le visage, les larmes, l’effroi de Maria. La réalisatrice exprime le seul ressenti de Maria, avec une mise en scène qui s’attache le plus souvent à son visage et à son corps meurtris. Cette scène est remarquable et exprime de façon extraordinaire la détresse de Maria. A un moment du film, Maria explique à un journaliste :  »J’ai pas eu le choix, je vous dis. Mes larmes étaient vraies. Ils ne m’ont pas laissé le choix ».

Maria Schneider, décédée en 2011, a été l’une des premières à parler des agressions qu’elle a subies. À l’heure de #MeToo, l’existence et la carrière fracassées de Maria Schneider font évidemment écho aux témoignages des actrices qui osent aujourd’hui dénoncer les humiliations qu’elles ont subies et subissent sur ou en dehors des plateaux de tournage.

Jessica Palud a eu l’intelligence de se focaliser sur quelques moments clés de son parcours tragique (Le Dernier tango, l’adolescence et les relations conflictuelles avec sa mère, ou encore sa rencontre avec une étudiante en cinéma qui l’accompagnera dans ses tentatives de désintoxication). La réalisatrice décrypte, avec pudeur un rapport de domination et ses conséquences. On sent une vraie réflexion sur la fabrication du cinéma et  »ce que l’on fait parfois en son nom ».

L’actrice Anamaria Vartolomei prête son charisme et sa vulnérabilité à Maria Schneider. Elle est juste et intense dans son rôle, tantôt lumineuse, tantôt blessée. La jeune actrice porte tout le film sur ses épaules. Tout comme sont convaincants Matt Dillon (Brando) et Giuseppe Maggior (Bertolucci).

Jessica Palud a commencé sa carrière en tant que stagiaire, alors qu’elle n’avait pas 20 ans, avec Bernardo Bertolucci sur le film Innocents – The Dreamers (2003). Elle fut admiratrice de son travail. Elle a donc connu, 30 ans après, l’homme qui a dirigé Maria Schneider. Elle entendait, avoue-t-elle parler de tout et de n’importe quoi du tournage du Dernier tango à Paris. Toujours est-il que c’est une histoire qui est restée gravée en elle et qu’elle s’était demandée ce qui s’était réellement passé. Jessica Palud a découvert, durant sa profession d’assistante sur les plateaux de cinéma, les relations qui se nouent entre des cinéastes ivres de leur puissance et des comédiens en situation de vulnérabilité.

Maria reste un hommage à l’une des nombreuses victimes d’un cinéma qui broie les femmes, et raisonne grandement par les thèmes qu’il aborde à notre époque.

Philippe Cabrol

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