Avec un imaginaire poétique, tout en étant ancré dans un milieu urbain très réaliste, un conte contemporain autour du vivre ensemble, de la migration réussie et d’une espérance de multi-culturalisme universelle.
UNE LANGUE UNIVERSELLE de Matthew Rankin. Canada, 2024, 1h29. Avec Rojina Esmaeili, Saba Vahedyousefi, Mani Soleymanlou, Matthew Rankin, Pirouz Nemati. Festival de Cannes 2024, Quinzaine des cinéastes, prix du public. Représentant le Canada aux Oscars 2025.
Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France
La surprise arrive dès les premières images du film : Winnipeg, petite ville canadienne recouverte de neige et encerclée par de bruyantes voies rapides, est devenue une ville iranienne, avec ses commerces, ses écoles où tous les habitants parlent en farsi. Dans cette ambiance où l’absurde côtoie sans cesse le réel, Matthew, jeune homme un peu maladroit et empêtré dans ses gestes, cherche la maison de sa mère, pendant que deux enfants cherchent un trésor pris dans les glaces.
Le Canada est un pays avec deux langues officielles, le Français et l’Anglais, et il accueille de nombreux migrants venus du monde entier, chacun arrivant avec sa langue maternelle dans son bagage. Les accents, les rythmes des phrases, les sonorités, tout participe à un dépaysement pour l’interlocuteur, à un déplacement aussi insensible que bien réel. De ce déplacement peut naître un changement de perspective et la mise en scène oblige sans cesse le spectateur à regarder autrement, à entendre autrement, même lorsqu’il s’agit de ces gros volatiles dont les Nord-Américains sont friands à l’automne.
Le récit avance pas à pas (mais la neige ne permet pas d’aller plus vite par crainte de chuter) avec des rencontres toujours surprenantes. A Winipeg devenue ville iranienne, une famille s’occupe d’une grand-mère abandonnée, un clown de cinéma fait la classe aux enfants qui doivent apprendre le Français, la chaleur et la poésie sont présentes dans toutes les maisons, et celui qui n’a plus d’argent peut toujours espérer un miracle, ou une aide bienvenue.
En suivant une incroyable visite guidée des lieux les plus ordinaires de la ville, la caméra se promène dans un urbanisme austère où les immenses façades des bâtiments bouchent toute perspective, tout en offrant un très sage graphisme, où les trottoirs recouverts de glace laissent entrevoir une pièce magique et très convoitée. Entre deux voies rapides, un îlot délaissé, ancien cimetière indien ou café moderne sans âme. Et pourtant, de l’âme il y en a de cette ville, il suffit de regarde ailleurs, d’un nouveau changement de perspective.
Le réalisateur dit clairement que ce film est un hommage au cinéma qu’il aime, et notamment le cinéma iranien. Avec la ville comme décor, l’absurde dans l’image et dans le récit, Une Langue universelle est une si jolie façon d’évoquer la migration, le vivre ensemble chaleureusement, quand il fait si froid dehors.
Au Festival de Cannes 2024, Une Langue universelle était présenté dans la section Quinzaine des réalisateurs, où il a obtenu le coup de cœur du public. Il a été choisi par le Canada pour concourir à l’Oscar 2025 du meilleur film étranger.
Magali Van Reeth