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MISERICORDE d’Alain Guiraudie

Dans le petit village de Saint-Martial, au cœur des Cévennes aveyronnaises, le retour inattendu d’un fils prodigue va perturber la saison des champignons et lancer celle des amours.

MISERICORDE d’Alain Guiraudie. France/Espagne/Portugal, 2024, 1h43. Avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay, Jean-Baptiste Durand, David Ayala.

Critique de Pierre-Auguste Henry, SIGNIS France

Le nouveau film d’Alain Guiraudie sort en salle cet automne après avoir été présenté hors compétition lors du dernier Festival de Cannes. Mélangeant film social, thriller policier et comédie décalée, Miséricorde est un objet singulier dont la gravité symbolique ne reste jamais très pesante, toujours chassée par une drôlerie irrésistible.

L’intrigue débute par l’enterrement d’une figure locale, le boulanger. Jérémie (Félix Kysyl) est revenu au village pour assister aux obsèques de celui qui était son patron lorsqu’il était jeune et qu’il travaillait au four de la boulangerie. Son retour en surprend plus d’un, lui qui était parti depuis longtemps vivre à Toulouse et qui avait un peu coupé les ponts avec Saint-Martial.

La veuve du boulanger, Martine (Catherine Frot), est ravie de revoir ce petit jeune qui a bien grandi et l’invite à s’installer quelques jours chez elle pour lui permettre de redécouvrir le village. Son fils Vincent (Jean-Baptiste Durand) est bien moins emballé par le retour soudain de Jérémie – on comprend qu’il a bien moins digéré le départ de son ancien ami pour Toulouse – et encore moins par le fait qu’il s’incruste chez sa mère pour y dormir. Il le soupçonne ouvertement de vouloir coucher avec elle. Jérémie, lui, semble plutôt attiré par Walter (David Ayala), un célibataire solitaire et volumineux, méfiant puis curieux de cette tentative de séduction gérée à grand coups de pastis. Enfin, il y a le prêtre du village (Jacques Develay) qui a le don de se retrouver là où l’on ne l’attend pas. Les membres de ce théâtral quintette se croisent un à un en forêt, à l’apéro, chez les uns et les autres, avec une tension qui va s’accentuer à la suite d’une disparition inquiétante…

Le désir est le dénominateur commun de toutes les interrogations de Guiraudie et il prend souvent des formes surprenantes, ici une pansexualité qui contre les instincts de jalousie, de ressentiment et de violence qui naissent entre les personnages – ce qui occasionne quelques scènes osées mais toujours légères, voire ouvertement comiques. Si le film est d’abord un fascinant thriller en huis clos qui tient en haleine jusqu’au dénouement, on aura quand même rarement autant souri devant un combat entre Eros et Thanatos.

Miséricorde est un mot qui colle si bien au cinéma de Guiraudie, lui qui filme avec une bonté crue et compassionnelle des personnages empêchés, au bord de l’amour comme de la violence. En titrant ainsi son nouveau film, il aiguille sur son interprétation et confirme le ressenti étonnement joyeux lorsque les lumières se rallument. Miséricorde est un film ouvert, inquiet et mystérieux mais que l’on quitte avec un sentiment certain : que tous ces personnages sont finalement bien plus lumineux que ténébreux.

Pierre-Auguste Henry


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