MédiasLes Chroniques CinémaTIGER STRIPES d'Amanda Nell Eu

TIGER STRIPES d’Amanda Nell Eu

En Malaisie, un groupe de fillettes vit avec beaucoup de tensions le passage à l’adolescence. Un récit très actuel et empreint de culture populaire où humour et monstres se côtoient pour libérer la femme de l’emprise du patriarcat.

TIGER STRIPES d’Amanda Nell Eu. Malaisie/Singapour/France, 2023, 1h35. Avec Zafreen Zairizal, Deena Ezral, Piqa, Shaheizy Sam. Festival de Cannes 2023, sélection Semaine de la critique.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

Le titre anglais du titre fait référence aux rayures du tigre, cet animal très présent dans le folklore de l’Asie du sud-est, à la fois célébré pour sa beauté et son indépendance mais aussi craint pour sa puissance et sa cruauté. C’est à lui que Zaffan, 12 ans, va peu à peu s’identifier, ou se métamorphoser avec l’arrivée de ses premières règles et des transformations physiques et psychiques qui les accompagnent.

Pour son premier long-métrage, la réalisatrice s’appuie sur la culture populaire de son pays d’origine, la Malaisie, où les monstres sont nombreux, et souvent féminins. Elle fait de discrètes références au cinéma de l’Asie du sud-est, souvent déroutant pour les occidentaux car il mêle allégrement le surnaturel et le réel.

Le réel ici est une école de filles où toutes portent l’uniforme et le voile, sauf les Chinoises, qui sont les meilleures dans toutes les matières. Le surnaturel, c’est la façon dont Zaffan va vivre ses transformations, au plus près d’une nature luxuriante, exacerbées à l’écran.

Cette école, et la communauté rurale qui l’entoure, sont vues à travers le regard des fillettes. Les adultes et les garçons n’existent pratiquement pas. Ou alors sans nuance, avec une mère toujours récriminante, un père quasi mutique et des enseignants caricaturaux, surtout la directrice, vacharde et pimpante. Zaffan, Farah et Maryam sont des amies exclusives, jusqu’à l’apparition des premières règles. Jalousie, dégoût, relents de traditions patriarcales perpétuées par les femmes, le groupe va éclater avec violence. Zaffan, rejetée, exclue et souffrante, voit son corps se changer en monstre hideux. A elle d’en faire un être puissant, libéré des traditions mortifères.

Pris au dépourvu par les réactions incompréhensibles des élèves, l’établissement scolaire et les parents de Zaffan, ne semblent avoir qu’un seul recours face à ces hallucinations collectives : demander un exorcisme au puissant docteur potentat local. La scène d’exorcisme est un peu longue mais c’est un morceaux d’anthologie. Amada Nell Eu détourne avec bravade les codes de ce genre cinématographique, en le saupoudrant de particularisme régional et avec un humour grinçant vis à vis des charlatans, médecins ou religieux.

Jouant avec humour de la cruauté et de la grande liberté des monstres, Tiger Stripes dénonce ces sociétés, ces interprétations religieuses ou traditionnelles, ces habitudes culturelles qui font de la femme menstruée un être sale dont il faut s’éloigner. Dans ce conte fantastique, Zaffan, fillette espiègle et entreprenante, se transforme, dans la douleur et dans le sang, en une femme puissante et libre.

Magali Van Reeth

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