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BE NATURAL, l’histoire cachée d’Alice Guy-Blaché de Pamela Green

Alice Guy-Blaché (1873-1968) est la première femme de l’histoire du cinéma qui fut réalisatrice, productrice et directrice de studio, mais elle fut longtemps oubliée ou méconnue. Pamela Green a consacré huit années de recherches pour réaliser ce documentaire, qui, mené telle une enquête riche et soignée, retrace la vie de cette exceptionnelle pionnière du 7e art.

BE NATURAL, l’histoire cachée d’Alice Guy-Blaché de Pamela Green. Etats-Unis, 2018, 1h43. Documentaire.

Critique de Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France

Ce documentaire présente un triple intérêt : celui de nous faire connaître la cinéaste et de la réhabiliter, celui de  »re-connaître » cette créatrice de génie de l’histoire du cinéma à ses débuts et celui de retracer la courageuse émancipation de cette femme dans une époque où seuls les hommes étaient réalisateurs.

Le générique du documentaire très hollywoodien nous met parfaitement dans l’ambiance de la vie passionnante de Alice Guy-Blaché. Dès l’âge de 22 ans, celle-ci montre son caractère bien décidé et plein d’humour lorsque, se présentant au poste de sténographe de Léon Gaumont au Comptoir général de la photographie, elle réplique à celui-ci qui la trouve trop jeune :  »Monsieur, ça me passera. »

Elle partage alors le bureau de Léon Gaumont. Celui-ci rachète la compagnie qui compte parmi ses investisseurs, Gustave Eiffel. Alice Guy assiste avec lui à la naissance du cinéma lorsqu’en 1896, au Grand Café de Paris, les frères Lumières présentent en première séance publique, le cinématographe. Alice inspirée par les frères Lumière produit et réalise son premier film La Fée aux choux.

Elle devient directrice de production ; elle supervise les films de démonstration utilisés pour vendre les caméras Gaumont ; elle développe le style Gaumont qui distribue ses films en France et dans le monde. A l’exposition universelle, elle reçoit un prix en tant que collaboratrice de Gaumont.

Elle épouse en 1907 Herbert Blaché et démissionne de son poste chez Gaumont pour suivre son mari aux Etats-Unis. Elle fonde à Fort Lee dans le New Jersey son propre Studio Solax : elle y réalise et gère toute la production de ses films. Sur le fronton de son Studio Solax figure en grand caractères ces deux mots BE NATURAL adressé à ses acteurs.

Le documentaire de Pamela Green est une magistrale histoire du cinéma naissant, tandis qu’Alice Guy-Blaché est la première à utiliser le gros plan, la colorisation des images, le tournage à la main, et ce, dans des conditions parfois difficiles, avec des problèmes de pellicule, de caméra, de développement. Elle a recours à la synchronisation  »son / film » avec disque de cire tandis que les acteurs jouent en play-back. Elle met au point le trucage qui consiste à faire descendre la caméra pour servir l’actrice comme par exemple dans son film composé de 25 tableaux et 300 figurants La Vie du Christ / Birth, life, and death of the Christ (1906).

A ses talents techniques s’ajoute son sens du drame : elle sait tenir le spectateur en haleine. Grande réalisatrice de comédie, elle a le  »timing comique », le sens chorégraphique que l’on retrouve dans son film, Le Matelas épileptique. Souvent emprunts de rébellion, de créativité, ses films portent aussi sur des thèmes de la société, les parents, les malentendants, la grève, les luttes sociales, l’immigration.

Ce documentaire est entrecoupé à intervalles réguliers par des interviews de Alice Guy-Blaché,  »leitmotiv » et  »colonne vertébrale » rendant ainsi le récit de sa vie passionnant, vivant et authentique. Comme pour souligner la richesse des inventions de Alice Guy-Blaché, Pamela Green fait appel, pour mener ce documentaire-enquête de façon la plus scientifique possible, à toute une batterie d’archives : nombreux extraits de films montrant la créativité d’Alice, images colorées ou en noir et blanc, objets ayant appartenu à Alice, extraits de journaux, clichés donnés par sa fille Simone, interviews de celle-ci et de descendants de la famille.

Sur le plan technique, Pamela Green utilise des formes variées. Un clip pour La Marche de l’homme d’Etienne-Jules Marey, allusion aux débuts balbutiants de la photographie, des portraits en gros plans, des diapos se superposant, des écrans d’ordinateurs avec page internet, des appels téléphoniques dans tous les coins du monde, un laboratoire de techniques d’identification d’images de restauration par numérisation, un appareil magnétophone d’enregistrement et de nombreux tracés sur une carte indiquant le cheminement et le parcours des recherches tant de la réalisatrice du documentaire que celles de Alice Guy-Blaché.

Le documentaire atteste aussi de la condition des femmes à cette époque, où même le travail de bureau comme secrétaire, émancipe. Alice est révolutionnaire : consciente des inégalités, elle est prête à renverser clichés, tandis que dans ses films elle donne des rôles importants aux femmes qui se rebellent, fréquentent les cafés, parlent politique, fument le cigare… pendant que les maris font la lessive (The Consequences of Feminismus, 1906). Alice Guy-Blaché dira : ‘‘…il n’y a rien dans un film qu’un homme ne saurait faire mieux qu’une femme. Il n’y a aucune raison qu’une femme ne sache maîtriser n’importe quel aspect technique ».

Tous les studios hollywoodiens ont tous leurs racines à Fort Lee au Studio Solax. Avec 20 ans de carrière en France et aux Etats-Unis et plus de 1000 films, Alice Guy-Blaché fut pourtant, durant près d’un siècle, méconnue de nombreux professionnels, ignorée des revues et des catalogues de cinéma,  »mise dans l’ombre » comme dira Agnès Varda.

Femme d’affaires et surtout immense créatrice, étudiée à présent dans les plus grandes universités de cinéma comme celle de Columbia, Alice Guy-Blaché, tenue en  »haute estime » par Léon Gaumont, fut admirée tant par Serguei Eisenstein que Alfred Hitchcock. Marjane Satrapi dit dans le documentaire : ‘‘Je voudrais que plus parlent d’elle et la connaissent ».

Chantal Laroche Poupard

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