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NAPOLEON d’Abel Gance

Véritable expérience immersive de cinéma, ce film est aussi mythique que son personnage principal, par les prouesses techniques de sa réalisation et l’ampleur de sa récente restauration. A voir absolument sur grand écran !

NAPOLEON d’Abel Gance

France, 1927. Première partie 3h40, deuxième partie 3h20. Avec Albert Dieudonné et Gina Manès. Copie restaurée 2024 et présentée au Festival de Cannes 2024.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

Ce film appartient à l’Histoire du cinéma et il n’est pas besoin d’être un admirateur de Napoléon pour apprécier sa mise en scène époustouflante, son sens de la dramaturgie, la diversité de ses scènes et le souffle d’héroïsme qui accompagne ces 7 heures de projection.

Si la plupart des scènes sont assez courtes, pour nous partager le parcours de ce jeune homme venu de Corse en 1783, très proche du récit historique, Abel Gance a privilégié certains moments à qui il a donné une grande ampleur. La première partie commence avec une bataille de boules de neige dans la cour du collège militaire de Brienne le Château. Enfant, Napoléon montre déjà des capacités stratégiques assez étonnantes, et se fait ses premiers ennemis.

Il y a ensuite l’époque tumultueuse des débuts de la Révolution française que le réalisateur tente de résumer cahin-caha. Pour le spectateur néophyte, il en ressort une période très trouble, des personnages habités par leur vision d’un nouveau monde et près à faire tomber beaucoup de têtes pour y parvenir. Napoléon rentre chez lui en Corse puis doit prendre la fuite. Un épisode rocambolesque, où la Chance veille sur lui. Il est affecté à Toulon, assiégée par les Anglais.

Abel Gance fait de cette bataille de Toulon un morceau d’anthologie au cinéma. Par le nombre de figurants d’abord, on a l’impression qu’ils sont des milliers engagés pour cette reconstitution. Ça grouille de tous les côtés, et il y a toujours un détail en arrière plan de l’action principale. Toute cette journée, toute cette nuit est filmée sous une pluie battante. Pas une petite pluie poétique de cinéma, mais des paquets d’eau pour décrire le côté épique du siège de Toulon. A voir le tricorne du jeune capitaine dégouliner d’eau, les soldats embourbés jusqu’aux genoux et cette pluie diluvienne qui ne cesse pas, on est content pour les acteurs et les figurants d’aujourd’hui que les conditions de tournage soient beaucoup moins éprouvantes…

La seconde partie commence avec une succession de scènes assez courtes pour mettre en scène les années terribles qui sont suivies la Révolution française, l’opposition entre Danton et Robespierre et cette époque où tuait à tour de bras au nom de la République. Un temps où on assassinait aussi les poètes, comme l’évoque la brève scène avec André Chénier, terminant son poème La Jeune captive avant de partir à la guillotine.

Puis commence un des moments forts de cette seconde partie, le bal des victimes. Le peuple de Paris, tout à sa joie de voir la période de la Terreur terminée, organise une grande fête pour tous ceux qui ont été emprisonnés ou dont un membre de leur famille a été guillotiné. Quittant la rigueur des champs de batailles, Abel Gance met en scène une fête quasi dionysiaque où les femmes sont belles et peu vêtues, les bijoux scintillants ; les moustaches des hommes frétillent, on danse, on boit, on rit, on s’embrasse, sous le regard un brin méprisant de Napoléon.

C’est au cours de cette fête que le jeune général tombe amoureux de Joséphine de Beauharnais, ce qui plonge dans un désespoir mélancolique la jeune Violine, l’ombre blanche, l’enfant d’un tenancier d’auberge à Toulon, où est née sa passion dévorante pour Napoléon. Avec elle, le réalisateur introduit une touche presque mystique, et déchirante, dans ce récit de conquêtes, de soif du pouvoir et d’idéaux politiques.

Nommé à la tête des armées d’Italie, pour aller répandre la bonne parole de la Révolution aux autres peuples d’Europe, Napoléon et Abel Gance donnent une autre démonstration de leur talent éblouissant. Le réalisateur filme les scènes avec plusieurs caméras et projette ensuite ces différentes prises sur un écran très large, qu’il accole côte à côte et nomme  »polyvision ». L’effet est saisissant et c’est pour le ressentir pleinement qu’il faut absolument voir ce film en salle de cinéma, sur grand écran. Il nous plonge au cœur de cette armée revigorée par l’arrivée d’un véritable chef et on reste éblouit par cette maîtrise de la technique, à peine 30 ans après la naissance du cinéma. Le final est tout aussi grandiose puisqu’à l’aide de filtres de couleurs, il met le drapeau bleu blanc rouge à l’écran.

Ce film mythique n’existait plus que par petits bouts que chacun présentait ou montait à son gré. En 2008, la Cinémathèque française a confié à Georges Mourier le soin de rassembler ces morceaux épars et d’en reconstruite une version la plus proche possible de celle voulue par le réalisateur. Film muet, il n’y avait pas de livret d’accompagnement. Pour cette restauration, il a été écrit par Simon Cloquet-Lafollye et enregistré par les musiciens des orchestres de Radio France. Cette version du Napoléon d’Abel Gance a été présentée au Festival de Cannes 2024.

Magali Van Reeth

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