La veille de Noël, une famille italo-américaine très nombreuse est réunie pour ce qui pourrait être le dernier réveillon dans leur maison familiale de Long Island, près de New York. Alors que la nuit avance et que les tensions générationnelles surgissent, deux adolescentes se faufilent hors des murs pour retrouver des amis et s’approprier la banlieue pavillonnaire hivernale.
NOEL A MILLER’S POINT de Tyler Taormina. Etats-Unis, 2024, 1h46. Avec Matilda Fleming, Maria Dizzia, Ben Shenkman, Francesca Scorsese. Festival de Cannes 2024, sélection Quinzaine des réalisateurs.
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
Cette grande famille de la classe moyenne est à elle seule une mini société. Toutes les générations y sont représentées et se concentrent autour de la grand-mère Antonia, dont l’autonomie est l’objet de débat entre ses enfants. La profusion des personnages qui l’entourent est à comprendre dans leur ensemble et ne fait pas véritablement de Noël à Miller’s Point un film choral. On a davantage affaire à une succession de saynètes où petits et grands jouent leurs rôles, avec la musique de circonstance et une décoration tellement abondante et kitch qu’elle devient un élément poétique marquant.
Il y a comme un sentiment de trop plein dans le cadre. Les images sont saturées de couleurs et de personnes. La maison familiale est remplie de photos et bibelots, les tables croulent sous les victuailles, les verres se vident, des discussions futiles et cocasses alternent avec des sujets plus graves. Ces bribes de conversations chopées au vol donnent, par les ruptures de ton qu’elles engendrent, une impression de cacophonie et une atmosphère en constant flottement.
La multiplicité des personnages, juste effleurés pour la plupart et certains très peu identifiables, ainsi que l’absence de véritable intrigue avec des situations non creusées, est un choix délibéré de narration. Le film est assez inclassable et se place à mi-chemin entre le réel et le burlesque. Si la famille réunie autour de la table de Noël s’inscrit dans le moment présent, les personnages complètement décalés des deux policiers contournent la réalité et relèvent davantage du domaine de la farce.
Sans faire de bruit, l’action s’éloigne du domicile, suivant les pas furtifs de la jeune Emily et de sa cousine Michelle, dans une fugue au final bien innocente. Il s’agit juste de s’échapper un instant du bruit et de la fureur de la maison familiale, mais pas de s’évader car ce n’est pas une prison dorée mais bien un havre de nostalgie où l’on aime revenir et se retrouver. Les jeunes perpétuent les traditions familiales des anciens, si bien que la parade des pompiers ou la promenade de minuit se transforment en rituels collectifs assumés.
Noël à Miller’s point est le troisième long-métrage du réalisateur américain Tyler Taormina. Chantre du cinéma indépendant, il s’inscrit dans le « mumblecore », une mouvance regroupant de jeunes cinéastes qui est née au tournant du vingt-et-unième siècle. Il participe au collectif Omnes Films, une société de production entre copains qui changent de rôle selon les films des uns et des autres, passant de réalisateur à producteur ou directeur de la photographie.
Autoproduit et à très petit budget, Noël à Miller’s Point est bien plus qu’un simple film de Noël. En recréant l’ambiance rétro des années 1990, il aborde le thème de la solitude malgré la multitude ou les non-dits des difficiles relations mère-fille. C’est aussi un film de « fils et fille de » avec, à l’affiche, Francesca Scorsese et Sawyer Spielberg. En cela, Taormina semble vouloir montrer une filiation avec le Nouvel Hollywood. Dans une mise-en-scène soignée, son film présente une fresque familiale qui, le temps d’une nuit et par une série de vignettes en forme de souvenirs, effleure la surface des choses.
Anne Le Cor