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LANGUE ETRANGERE de Claire Burger

Fanny et Lena sont deux jeunes filles, l’une Française et l’autre Allemande. Correspondantes, leur séjour respectif dans la famille de l’autre va faire basculer leurs vies autant que mettre en scène l’actualisation de l’histoire et du destin politique du Vieux Continent.

LANGUE ETRANGERE de Claire Burger. France/Allemagne/Belgique, 2024, 1h46. Avec Lilith Grasmug, Josefa Heinsius, Chiara Mastroianni, Nina Hoss, Jalal Altawil.

Critique de Pierre-Auguste Henry, SIGNIS France

Le cinéma humaniste de Claire Burger trace sa route à l’Est. Après la Moselle dans Party Girl puis Forbach dans C’est ça l’Amour, la réalisatrice choisit un balancier entre Strasbourg et Leipzig pour son 3ème long-métrage présenté en février 2024 dans la compétition du Festival de Berlin.

Fanny, 17 ans et Française, part faire un séjour d’échange en Allemagne pour y rencontrer sa correspondante, Lena. Si Fanny est timide et réservée, Lena est en pleine rébellion adolescente : enchaînant les soirées plus qu’alcoolisées, très engagée à gauche et attirée par les grands mouvements de protestation et organisations révolutionnaires.

Toutes deux connaissent des situations familiales compliquées. Les parents de Lena sont séparés et sa mère Suzanne, légèrement alcoolique, tient le foyer sans son ex-compagnon avec qui la relation est toujours très compliquée. Fanny a une mère aimante autant qu’inquiète, et son père est un haut fonctionnaire de l’Union européenne d’origine moyen-orientale, souvent absent car très pris par son travail dans les institutions. Une famille explosée et en colère d’un côté, une implosée et atone de l’autre. Et surtout deux actrices formidables en mères isolées (Nina Hoss et Chiara Mastroianni) qui tiennent tête aux surprenantes jeunes comédiennes (Lilith Grasmug et Josefa Heinsius) qui jouent Fanny et Lena.

Face à cette jeune Française mutique et proprette, l’accueil de Lena n’est pas vraiment chaleureux. Il faudra du temps et des révélations rocambolesques pour que Fanny ne parvienne à attirer son attention. Elle raconte le harcèlement au lycée l’ayant poussé à une tentative de suicide, puis la découverte d’une grande sœur cachée, proche des milieux « antifa ». Tout est bon pour mieux se rapprocher de Lena, pour qui elle a une admiration sans bornes et peut-être même un éveil amoureux. Il faut absolument que Lena fasse sa part de l’échange et vienne voir Fanny en France, quoi qu’il en coûte, même si c’est pour l’aider à trouver cette mystérieuse grande sœur héroïque.

Langue étrangère est donc un « coming-of-age » dont toute l’originalité et la finesse réside dans le décor : la polarisation électorale de part et d’autre du Rhin, la sortie de la période Covid-19 et des confinements, ainsi que l’époque soudainement plus ouverte aux questionnements amoureux LGBT. Le film utilise ce contexte particulier et ces « luttes » comme toile de fond sur laquelle doivent évoluer les deux jeunes filles, les libérant et les handicapant à parts égales. C’est un grand film de scénario très ancré dans une géographie, comme toujours avec Claire Burger et ici avec l’aide de Léa Mysius pour une écriture à 4 mains.

Au-delà de la relation entre Fanny et Lena, Langue étrangère est donc aussi un tableau sublimé de l’Europe aujourd’hui et en particulier du fameux « couple » franco-allemand. Cette mise en scène métaphorique et riche en parallèles permet différents niveaux de lecture du film, l’élevant bien au-dessus de la simple bluette adolescente pour questionner les liens sociaux à l’échelle continentale : dynamiques amoureuses et politiques se confondent dans des histoires familiales compliquées, quelle que soient leur échelle : celle des jeunes filles ou celle des nations.

Pierre-Auguste Henry

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