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DAHOMEY de Mati Diop Ours d’or Berlinale 2024

Récompensé par l’Ours d’or de la Berlinale 2024, Dahomey filme le retour au Bénin de 26 trésors royaux soustraits à leur terre d’origine durant la colonisation.

DAHOMEY de Mati Diop. France/Sénégal/Bénin, 2023, 1h07. Documentaire. Sélection officielle Berlinale 2024, Ours d’or.

Critique de Pierre-Auguste Henry, SIGNIS France

C’est suffisamment remarquable pour le noter d’entrée : pour la deuxième année d’affilée, un documentaire a gagné l’Ours d’Or. Après Sur L’Adamant, c’est Dahomey qui a remporté la récompense suprême à Berlin. Encore rare il y a seulement quelques années, le cinéma documentaire a désormais une présence quasi systématique en compétition dans les grands festivals : Venise a sacré Toute la Beauté et le Sang versé en 2022, et Cannes a remis non pas un mais deux documentaires en compétition l’année dernière (Les Filles d’Olfa et Jeunesse), un genre qui n’y avait plus figuré depuis près de 20 ans.

C’est à Cannes que Mati Diop est apparue sur le devant de la scène en 2019 avec Atlantique, fiction contemporaine à Dakar où le sujet de l’émigration rencontrait un fantastique doux teinté du mysticisme ouest-africain. Dahomey conserve un aspect fantastique revendiqué par sa réalisatrice. Alors qu’on les prépare au voyage dans les coulisses du Louvre, les statues s’expriment sur leur sort, leur histoire et leur retour imminent. C’est la voix des anciens rois du Dahomey qui sort des caissons de transfert ultrasécurisés, sur le tarmac d’Orly et dans l’avion vers Cotonou. A leur arrivée, une grande cérémonie est organisée pour fêter le retour des trésors dont l’imposante statue du Roi Ghezo est la pièce centrale. Mais ces festivités initiales paraissent rapidement futiles car ces retrouvailles provoquent le surgissement d’un questionnement existentiel : la réappropriation d’une identité devenue étrangère.

Dans sa seconde partie, le film se concentre sur une conférence-débat organisée dans une grande université du Bénin et les réactions d’étudiants au retour de leurs trésors volés. C’est une fascinante variété de discours qui se déploie : la fierté d’avoir obtenu réparation, la colère qu’elle ne soit qu’infime. Plus frappantes, les interrogations sur le rapatriement de ces statues. Quel sens a leur présence aujourd’hui après tant d’années d’absence et d’oubli ? Où faut-il les exposer ? Quel lien reste-t-il avec la jeunesse béninoise qui n’a pas grandi sous leur patronage ? La complexité des réactions au retour des trésors royaux révèle les plaies encore ouvertes de la colonisation et les conséquences toujours actuelles des pillages culturels du siècle dernier.

Faisant dialoguer avec intelligence les voix du passé et du présent, Mati Diop signe un documentaire fort sur la nécessité des restitutions, un appel brillant aux musées européens ainsi qu’un message d’une grande lucidité sur les difficultés d’un processus de réparation. Avec cette poésie qui lui est propre, la cinéaste franco-sénégalaise remporte un Ours d’or mérité qui s’ajoute au Grand Prix cannois reçu pour Atlantique – et devient une voix majeure du cinéma africain.

Pierre-Auguste Henry

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