Costa Gavras, 92 ans, aborde le difficile sujet de la fin de vie, et pour la première fois au cinéma celui des soins palliatifs sous l’angle d’une fiction quasi-documentaire. On ne ressort pas indemne, c’est un film qui donne envie de »bien mourir ».
LE DERNIER SOUFFLE de Costa-Gavras. France, 2024, 1h37. Avec Denis Podalydès, Kad Merad, Marilyne Canto, Angela Molina
Critique de Patrick Lauras, SIGNIS France
L’inspiration trouvée dans la personne du docteur Claude Grange et de son livre semble fidèle si l’on se réfère aux entretiens que ce dernier a livrés récemment. L’unité de soins qu’il a créé à Houdan il y a 30 ans a dû fermer après son départ faute de personnels soignants. Triste réalité, le film tombe à point pour rappeler la voie souhaitable.

Premier plan : regard de près sur le tableau La vie et la mort de Klimt, comme un signe que la fin de vie fait partie de la vie. »Rendre humain ce qui ne l’est peut-être pas », voilà la véritable inspiration de ce film extrêmement intéressant sur le fond. Un sujet universel, intime et politique à la fois, qui pourrait concerner tout le monde mais intéressera plus sûrement les seniors et ceux qui accompagnent des personnes en fin de vie.
Même si le scénario s’articule formellement autour du philosophe/écrivain Fabrice Toussaint (Denis Podalydès), un hypocondriaque à la recherche d’un rebond après une publication très critiquée (Le fléau des seniors), il trouve ses moments de grâce autour des activités et du sens que le docteur Augustin Masset (Kad Merad) donne à son travail. L’essentiel du film consiste alors en une série de saynètes plus ou moins réussies, chacune autour d’un patient, et d’une des questions vertigineuses qui tournent autour de la fin de vie : Faut-il dire la vérité, toute la vérité au patient, aux proches ? Comment les proches peuvent-ils aider le patient à partir sereinement ? Et qu’y a-t-il donc de l’autre côté ? C’est quoi une belle mort ?

La narration »discontinue » résultant de cette approche quasi-documentaire implique des questions purement cinématographiques. On pourra trouver la tonalité du docteur didactique, l’enchaînement des séquences un peu programmatique. Il en résulte une certaine difficulté à s’attacher aux personnages, la rupture de l’empathie que l’on peut ressentir par moments. Mais ce faisant, Costa Gavras évite le débordement de pathos. L’ensemble se déploie bien comme un hommage à tous les personnels des centres de soins palliatifs. Ici on ne soigne pas, on empêche de souffrir, chaque personne est accompagnée personnellement, on ne fait que des choses qui ont du sens pour elle. Le film permet en définitive de donner un visage inattendu aux soins palliatifs, de flécher une approche plus humaine que médicale de la fin de vie, et de faire réfléchir sur toutes ces questions que souvent nous n’aimons guère considérer.
Quelques scènes adoptent un style onirique inattendu, lorsque la fête s’invite pour ainsi dire aux portes de l’établissement. Angélisme ? Pas sûr… La réhumanisation de la fin de vie rendue possible ici par l’attention au patient est une réalité – le docteur Grange en témoigne – et un véritable choc. Et si le cinéma dépasse la réalité, il est peut-être bon qu’il en soit ainsi pour la portée politique du film.
Patrick Lauras