Viet and Nam – prénoms masculins de deux mineurs de fond sans qu’on sache jamais qui est Viet et qui est Nam – sont comme les symboles d’un pays qui fut coupé en deux et encore en recherche de réconciliation, est le premier film du vietnamien Truong Minh Quy distribué en France. Il ne sera pas diffusé au Vietnam.
VIET AND NAM de Truong Minh Quy. Vietnam/Philippines/Singapour/France, 2024, 2h09. Avec Pham Thanh Hai, Dao Duy Bao dinh, Hguyen Thi Nga, lé Viet Tung. Festival de Cannes 2024, sélection Un Certain Regard.
Critique de Bernard Bourgey, SIGNIS France
C’est un film sur l’errance… Errance d’un pays qui n’est toujours pas apaisé sur sa terre où nombre de corps de soldats jamais retrouvés depuis la guerre, empêchent toujours leurs proches de faire leur deuil, cinquante ans après le départ des américains.
Errance de deux amoureux Viet et Nam dont la sensualité et la tendresse ne s’épanchent que dans le sol gluant et charbonneux de la mine cent pieds sous terre, la pierre noire scintillant comme un ciel étoilé, mais dont le lien est menacé par l’envie de Nam de goûter au grand large de l’exil au-delà de la mer, auquel il s’entraîne en traversant un fleuve dans un sac en plastique !
Mais Nam pourra t’il vivre l’errance séparé de Viet, alors que leurs physiques qui pourraient les faire passer pour deux frères, renvoient à un pays aujourd’hui politiquement unifié mais qui aurait gardé deux faces quasi-gémellaires mais distinctes ?
Et Nam pourra t’il quitter son pays avant qu’on ait retrouvé et identifié les restes d’un père qu’il n’a jamais connu, parti au combat sans savoir que sa femme était enceinte ?
Un ami du défunt, vétéran manchot, vient conforter cette quête du passé non résolu qui les conduira lui, Viet, Nam et sa mère dans un étrange mémorial ou les ossements côtoient des figurines de soldats au combat. Et à partir de ce Vietnam du souvenir, nos héros font confiance à un médium qui prétend pouvoir retrouver la dépouille de leur parent et ami. Car comme le dit le réalisateur, pour son peuple il n’y a pas de réincarnation possible si on ne ramène pas le corps du défunt à la maison.
Truong Minh Quy ouvre son film dans le noir des profondeurs de la mine et pendant toute la durée du film, les tentatives de remonter à la surface tout ce qui est enfoui dans la terre comme dans les profondeurs de l’âme, sont comme l’effort de Sisyphe toujours à recommencer.
Ici le noir est un aimant qui attise les angoisses comme l’exprime si bien cette demande avant de dormir: « Laisse la lumière allumée, je rêverai mieux ! »
Tout comme est significative cette promenade des deux amants sur la plage qui n’est pour eux qu’un cimetière pour les crustacés, au bord d’une mer sur laquelle le soleil ne se reflète pas !
Viet and Nam est un film savamment construit qui mêle le rêve et le réel, la dureté du labeur avec l’érotisme, la volonté de vivre à tout prix, que ce soit par l’exil ou par la croyance qu’on peut déterrer un passé qui vous a laissé prisonnier sur le rivage.
Truong Minh Quy nous invite à le suivre sur un chemin escarpé, pas toujours facile, avec des plans longs et fixes croisant plusieurs fils narratifs qui nous égarent parfois mais sans nous perdre, tous faits d’images superbes tournées au format 16 mm.
Le dernier plan sur la mer, source de vie nouvelle comme porteuse de mort, laisse nos deux amants perçus comme une seule et unique personne, sur une image ouverte mais glaçante.
Un jeune cinéaste dont ce film – d’une grande beauté plastique, réalisé avec des actrices et acteurs non professionnels – nous permet d’espérer avec la maturité, de prochaines œuvres où l’image laisserait davantage l’émotion éclore sans entrave.
Bernard Bourgey