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LA CHAMBRE D’A COTE de Pedro Almodovar

Premier film du réalisateur espagnol en Anglais, il fait la part belle aux actrices Julianne Moore et Tilda Swinton, dans un duo tendre et rude à l’approche de la mort annoncée et acceptée. Tout en gardant son style coloré et en abordant frontalement un épineux sujet de société, l’euthanasie.

LA CHAMBRE D’A COTE de Pedro Almodovar. Espagne, 2024, 1h50. Avec Julianne Moore et Tilda Swinton. Lion d’or à la Mostra de Venise 2024.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

A New York de nos jours, deux pétillantes sexagénaires se retrouvent après des années de séparation. Ingrid et Martha ont été très liées au début de leur carrière professionnelle dans le journalisme puis la vie les a éloignées. Ingrid est une romancière célèbre et Martha se soigne d’un cancer avec lucidité.

Même si le spectateur, grâce à la bande annonce et aux articles de presse, sait à peu près de quoi retourne le film, le réalisateur sait, à son habitude, le surprendre, mener l’intrigue avec de nombreux détours et rendre le débat plus complexe qu’il n’y paraît.

On retrouve dans ce long-métrage le style très personnel d’Almodovar : le choix des couleurs éblouissantes, des personnages de femmes libres et indépendantes, courageuses et tendres, interprétées par des actrices loin des cannons habituels du cinéma international, les décors aussi spectaculaires que les costumes, si bien adaptés aux personnages, et la façon pudique de parler d’un fait de société frontalement et sans vulgarité. Ainsi, la seconde partie du film se déroule dans une magnifique villa contemporaine, assemblage de cubes de verre, posée dans un bois où la course du soleil a une résonance musicale sur le troncs des pins : avec élégance, l’enchantement de ce lieu accentue (ou apaise) l’idée de la mort en préparation.

La mise en scène est soulevée par le choix très pertinent des deux actrices, qui construisent leur nouvelle relation à l’écran. Le personnage de Martha, sûre d’elle, menant une bataille et donnant des ordres, est incarné par Tilda Swinton, accompagnée de tous les personnages hors normes et fantastiques à qui elle a prêté son visage androgyne et son brin de folie. Ingrid est un personnage moins aventureux, confortablement installée dans sa renommée et Julianne Moore lui donne son physique plus lisse, prête à des démonstrations de tendresse amicale et des réserves morales bien compréhensibles.

Pedro Almodovar, en recevant le Lion d’or à Venise, a clairement dit qu’il était en faveur de l’euthanasie. Martha montre une femme décidée à ne pas laisser la déchéance physique anéantir sa capacité de réflexion et de décision, affrontant la mort en face. Pourtant à travers le personnage d’Ingrid qui accepte, après beaucoup d’hésitations, de l’accompagner, on ressent bien la détresse et le malaise que ces décisions suscitent dans l’entourage proche. Il y aura des décisions de justice mais elles ne géreront pas la souffrance des proches et, lorsqu’on est personnellement confronté à la mort, comment prédire nos réactions ? La Chambre d’à côté en montre toute la complexité, avec un bel élan de cinéma.

Magali Van Reeth

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