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UN PARFAIT INCONNU de James Mangold

Quand il débarque à New York en 1961 avec sa guitare sur le dos, Bob Dylan n’est qu’un parfait inconnu en quête de reconnaissance. Quatre ans plus tard, en 1965, c’est un auteur-compositeur-interprète reconnu et adulé qui s’apprête à révolutionner la musique folk, au grand dam des puristes mais en total accord avec ses aspirations profondes.

UN PARFAIT INCONNU de James Mangold. Etats-Unis, 2024, 2h. Avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning et Monica Barbaro.

Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France

Un Parfait inconnu, le dernier film de James Mangold, est un biopic en deux volets sur les débuts de Bob Dylan. De son vrai nom Robert Zimmerman, il impressionne, dès ses premières performances dans les clubs en pleine effervescence artistique de Greenwich Village, par la puissance de ses textes à la fois engagés et poétiques, ses accords de guitare et sa voix nasillarde.

Le film n’est pas une biographie de l’artiste et se focalise sur les quatre années de son ascension fulgurante mais aussi sur sa vie de nomade et d’amoureux transis ainsi que sur son statut d’icône de la musique folk. Malgré la gloire et le succès, le chanteur reste insaisissable. À tous ceux qui veulent le posséder, il oppose une fin de non-recevoir et s’échappe pour tracer son propre sillon. Son seul luxe c’est la liberté. Quand il passe de guitare sèche à la guitare électrique en 1965, on l’accuse de devenir un chanteur pop. Il gagne le public malgré tout en modernisant et popularisant le folk pour toujours.

La musique folk, c’est un homme et sa guitare, accompagnés tout au plus d’un banjo ou d’un harmonica. Le réalisateur semble avoir adopté ce schéma tant la caméra devient folk elle-même et offre de très nombreux plans rapprochés sur les artistes et leurs instruments en pleine performance. La musique est omniprésente et la quasi-totalité des séquences musicales ont été enregistrées en direct sur le plateau pour plus d’authenticité. Timothée Chalamet qui interprète Bob Dylan, a dû apprendre à jouer de la guitare et à interpréter des titres marquants comme Mr Tambourine Man ou Like a Rolling Stone.

L’acteur franco-américain porte une prothèse nasale discrète qui modifie ses traits de manière à faire émerger le visage de Bob Dylan, sans pour autant susciter le débat. Avec sa chemise ouverte, sa veste en cuir et ses lunettes noires sur le nez nuit et jour, il traîne la dégaine légendaire de son personnage avec aisance et dans une décontraction apparente. Sans lui ressembler complètement, il incarne sa nonchalance décalée, que les échos du monde atteignent peu. Lors de la crise des missiles de Cuba, alors que la panique atteint les Américains qui fuient New York, il passe la nuit à faire l’amour à Joan Baez.

Les soubresauts des années 1960 ne sont évoqués que par quelques tableaux à l’arrière-plan du récit. Ce qui importe, ce sont les personnages. Bob Dylan enchaîne les conquêtes. Avec Joan Baez, la vedette folk du moment, la relation est houleuse et intermittente. Elle chante ses chansons et leur complicité sur scène est évidente. Mais dans l’intimité, les mots fusent et elle n’hésite à le traiter de « petit con ». C’est l’actrice californienne, Monica Barbaro, qui incarne à l’écran cette autre légende de la musique folk, belle et rebelle.

Celle qui fait vraiment battre le cœur de Bob Dylan à cette époque-là s’appelait Suze Rotolo. Cette relation a été si précieuse pour le chanteur que la seule demande qu’il a eue en lisant le scénario a été de changer son nom pour préserver le souvenir de ce premier amour. Elle s’appelle donc Sylvie Russo dans le film et est interprétée par Elle Fanning. L’actrice ayant déjà tourné avec Timothée Chalamet, leur complicité à l’écran est rafraîchissante.

D’autres personnes sont dans l’entourage de Bob Dylan et notamment celui qui le découvre, le chanteur Pete Seeger, incarné par Edward Norton. L’acteur américain trouve là un rôle à contre-emploi avec ce personnage doux et gentil. Il y a aussi Johnny Cash, campé par Boyd Holbrook, qui apparaît comme un talisman récurrent dans la carrière de Dylan. C’est aussi un clin d’œil pour James Mangold qui dédia au chanteur de rock’n’roll un précédent biopic, Walk the Line.

Un Parfait inconnu est un film bien construit et bien rythmé qui nous plonge au cœur de la musique folk, musique du peuple pour le peuple. Et même s’il prend quelques libertés avec les faits réels, il met la lumière sur Bob Dylan, qui n’est plus un inconnu désormais mais cultive toujours son mystère. Quand on lui demande qui il est, il répond systématiquement : «Je ne sais pas». Ce qui est sûr, c’est qu’il est à ce jour le seul auteur-compositeur à avoir reçu le Prix Nobel de littérature. Pour James Mangold, c’est un mythe américain moderne qui enfourche son cheval mécanique et trace la route, cheveux au vent et en toute liberté, tel un cowboy solitaire.

Anne Le Cor

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