Green Border relate le parcours de migrants à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, en 2021. Un afflux délibérément provoqué par le dictateur biélorusse Loukachenko, avec la complicité de Moscou, pour déstabiliser la Pologne et par conséquent l’Union Européenne. Nous suivons le parcours difficile d’une famille de migrants, mais aussi le quotidien de gardes-frontières et des activistes engagés aux côtés des migrants, dont les trajectoires se heurtent et s’entremêlent autour de ce drame humain.
GREEN BORDER d’Agnieszka Holland. France/Pologne/Tchéquie/Belgique, 2023, 2h27. Avec Jalal Altawil, Maja Ostaszewska, Behi Djanati Atai, Tomasz Wlosok. Sélection officielle Venise 2023, prix spécial du jury.
Critique d’Adrien Fondecave, SIGNIS France
Agnieszka Holland, ancienne assistante d’Andrzej Wajda, se place dans le sillage du cinéma polonais des années 1970, qu’on a appelé »cinéma de l’inquiétude morale ». Tout au long de sa filmographie, elle s’est en effet attachée à dénoncer les crimes contre l’humanité qui ont frappé le 20e siècle.
Jusqu’à encore très récemment, puisqu’en 2019 sortait son film L’Ombre de Staline, remarquable long métrage traitant de l’Holodomor, la grande famine en Ukraine provoquée par Staline, qui a fait des millions de morts dans les années 1930. Le personnage principal était d’ailleurs un journaliste, Gareth Jones, qui a réellement existé et qui a dénoncé ce qui se passait en Ukraine, à une époque où il était mal vu, même en Occident et au Royaume-Uni, de critiquer l’Union Soviétique. Un personnage qui cherchait, envers et contre tous, à faire éclater la vérité. Un double d’Agnieszka Holland, qui partage la même pugnacité ?
Green Border raconte des événements terribles : la façon dont le dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko – téléguidé par Vladimir Poutine – a orchestré l’afflux de migrants jusqu’à la frontière polonaise en 2021, pour exercer une pression et un chantage sur la Pologne, et ainsi sur l’ensemble de l’Union Européenne.
Biélorusses et Polonais se renvoient les migrants, qui passent et repassent la frontière entre les deux pays, balancés de façon extrêmement violente par les deux camps (notamment biélorusse). Au risque d’être blessés et parfois tués, que ce soit par les gardes-frontières ou dans leur fuite à travers l’immense et hostile forêt frontalière, cette frontière verte qui donne son titre au long métrage.
Agnieszka Holland et ses deux co-scénaristes ont fait le choix de suivre certains personnages et leur évolution tout au long du film. Notamment une famille de migrants syriens, un garde-frontière polonais avec son épouse, et une femme polonaise qui rejoint par conviction un groupe d’activistes engagés pour porter secours aux migrants. Ce choix scénaristique est salutaire, car il permet de nous attacher aux personnages et de montrer que derrière chaque individu, il y a un être humain, avec une histoire personnelle, un long chemin semé d’embûches, des espoirs et des meurtrissures. Cela permet aussi de montrer les points de vue et les dilemmes bien réels des personnages, au-delà d’un simple et banal film choral. D’embrasser ainsi toute la complexité de la situation, en posant des questions essentielles plus qu’en apportant des réponses toutes faites. Et de montrer que ce drame humain touche tout le monde d’une façon ou d’une autre, des militaires au civils.
Certains reprochent à la réalisatrice un propos qui est appuyé, peut-être un peu trop. Mais comment en vouloir à Agnieszka Holland ? L’Occident a longtemps détourné les yeux de l’Est de l’Europe. Ajoutons que la cinéaste et son équipe se sont longuement et minutieusement documentées sur les agissements des passeurs, des gardes-frontières et de tout ce que subissent les migrants à la frontière européenne. Tout ce qui est montré dans ce film est donc véridique, inspiré de faits réels.
Green Border a eu un très fort retentissement en Pologne, et ce jusque dans les plus hautes sphères politiques. Agnieszka Holland a ainsi fait l’objet d’une campagne calomnieuse extrêmement violente et dégradante à son encontre, menée par le parti nationaliste polonais, alors au pouvoir au moment où le film est sorti en Pologne. Heureusement, le public a réagi différemment et a réservé un bel accueil au film, qui totalisait fin novembre 2023 plus de 800 000 entrées en Pologne. Espérons et souhaitons que ce film soit vu largement en France, et ailleurs dans le monde, où l’accueil des migrants est souvent considéré comme un problème.
Adrien Fondecave