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A SON IMAGE de Thierry de Peretti

Une jeune photographe corse met en images son quotidien, tout en cherchant à comprendre la violence de son entourage. Avec une mise en scène très intelligente, le film déploie son récit sur une vingtaine d’années, entre romanesque, engagement politique, virilité et quête de pureté.

A SON IMAGE de Thierry de Peretti. France, 2024, 1h53. Avec Clara Maria Laredo, Marc’Antonu Mozziconacci, Louis Starace, Barabara Straggia. Festival de Cannes 2024, sélection Quinzaine des réalisateurs.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

Il faut se méfier des communautés qui, lors de rassemblement, expriment leur joie ou leur douleur avec des armes à feu : la mort n’est jamais très loin. Le réalisateur Thierry de Peretti, s’appuyant sur le roman éponyme de Jérôme Ferrari, tente de trouver la bonne distance entre les mouvements clandestins et terroristes corses des années 1970/1990, et son attachement à cette île et sa culture. A travers le personnage d’Antonia, jeune photographe, il porte un regard critique et romanesque sur les années de sa jeunesse.

Le récit se déroule sur plus de 25 ans, ponctué ça et là par une référence précise à des événements ayant existé mais les personnages n’ont pas besoin de maquillage pour montrer que le temps a passé et que des ruptures ont eu lieu. Antonia travaille pour un journal local et regrette la banalité de ses clichés. Elle est amoureuse d’un clandestin, qui fait de fréquents séjours en prison. Contrairement aux femmes de son entourage, Antonia refuse le rôle de l’éternelle pleureuse, de la veuve en devenir, de la mère restant seule pour élever des enfants dans le culte d’un père soi-disant héroïque parce mort. Quand la guerre civile éclate en Bosnie, s’opposant à ses parents, elle part se confronter à d’autres assassinats, questionner son métier.

Beaucoup de scènes sont filmées à distance des personnages. Alors que la caméra reste fixe, ils se déplacent, parlent, sortent du champ, reviennent, ou pas. La musique envahit parfois tout l’espace, certains gestes restent comme inachevés, les dialogues se fondent en bruissement imperceptibles. Pour le réalisateur, chaque plan est un moment entier à montrer comme tel. En tant que spectateur, on se glisse sans peine dans ce rythme, au plus près de l’instant présent capturé par le cinéma. Certes, la caméra du cinéaste fait écho à l’appareil photo de la protagoniste, chacun cherchant la juste distance pour un récit encore à construire. Dans le film, le spectacle de la tragédie est toujours hors champs mais ses conséquences sont montrées sans ambiguïté.

Il est savoureux de constater que Thierry de Peretti endosse le rôle du curé du village. Il est le parrain d’Antonia, celui qui lui a offert son premier appareil photo, et celui qui tente d’empêcher les jeunes du village de rejoindre la clandestinité et l’usage des armes. Un prêtre soucieux de n’abandonner aucune de ses brebis et de sauver ces jeunes gens de leur idéal mortifère. Aveuglée par trop de lumière, Antonia comme Icare, va se brûler les ailes. Mais Simon, l’ami d’enfance, devient porteur d’espérance à travers son travail. Il est celui qui déroule le récit, celui pour qui  »être un homme », c’est refuser de transmettre le culte de la vengeance.

Si Thierry de Peretti, comme dans ses précédents films, a choisi de parler de la société corse, il trouve avec A son image une distance romanesque et une maîtrise technique qui en font une belle œuvre de cinéma.

Magali Van Reeth

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