Maura Delpero nous plonge dans une vallée isolée des Alpes italiennes au sortir de la Seconde guerre mondiale. Une société patriarcale dans laquelle les femmes écrivent l’histoire par leur aspiration à la liberté. Une représentation cinématographique contemplative et d’une beauté hors normes.
VERMIGLIO OU LA MARIEE DES MONTAGNES de Maura Delpero. Italie/France/Belgique, 2024, 1h59. Avec Tommaso Ragno, Giuseppe De Domenico, Roberta Rovelli, Martina Scrinzi . Lion d’argent Venise 2024
Critique de Patrick Lauras, SIGNIS France
Après Maternal qui se déroulait en Argentine, Maura Delpero nous ramène au pays de ses origines, les montagnes du Haut Adige, avec un regard authentique, féministe et délicat sur une communauté montagnarde que la modernité n’a pas encore touchée. Vermiglio est le village où a vécu sa grand-mère à 30 km de Trente, c’est là que le film a été tourné, offrant des paysages grandioses.

La narration avance tranquillement, le plus souvent par des scènes et dialogues suggestifs dont la signification est hors champ. Maura Delpero aime ses personnages et leur offre de l’espoir. Elle les révèle par une mise en scène d’époque (maisons, meubles, vêtements gris), des plans longs, des lumières douces, des visages filmés comme des tableaux de maîtres (peintures flamandes en intérieur, romantiques naturalistes en extérieur). La musique des 4 saisons de Vivaldi accompagne les saisons de l’histoire.
La guerre est comme lointaine, les nouvelles ne parviennent qu’au compte-gouttes, la faim menace car les hommes manquent, la maladie rôde. L’avenir ne se dessine pourtant qu’ici à Vermiglio, sauf si Cesar en décide autrement. Il est instituteur du village, bon pédagogue, respecté entre tous mais dur et autoritaire. La caméra nous emmène au cœur de sa famille, avec son épouse Adele et leur sept enfants soumis à ses exigences éducatives, scolaires et à ses décisions sans appel.
Nous suivons en particulier Lucia, la fille aînée qui tombe amoureuse et épouse Pietro, »l’étranger » originaire de Sicile, déserteur comme le neveu Attilio qui lui doit la vie. C’est elle qui traversera l’épreuve la plus dure, celle qui s’enracine dans la trahison (ici un non-dit) : une vie détruite par le rejet et la honte, avec une maternité qui commence sur un mauvais pied. Car une femme qui n’a plus de mari ne sert à rien et n’est rien. Des codes sociaux effarants, sans appel, sans autre issue que l’exode vers la ville qui n’est pas encore moderne mais peut offrir un chemin pour se reconstruire…
Elle n’est pas la seule ! Sa sœur cadette Ada, adolescente emplie de foi en Dieu, culpabilisée par ses premières règles et ses désirs, que son père désigne pour rester à la ferme, choisira pourtant la vie religieuse ; au contraire de Flavia sœur puinée désignée pour partir étudier à la ville. Historiquement l’exode fut effectivement massif.

Qui donc est resté au pays ? Ceux qui ne pouvaient imaginer le monde autrement. Ici les parents. Adele, enfermée dans une vie qui n’est que succession de grossesses et de maternités consenties (ce qui ne l’empêche pas de tenir tête à son mari). Et Cesar, qui perdra son statut pour n’avoir pas su protéger les siens convenablement, car cette société terriblement patriarcale n’épargne pas non plus les mâles.
La maternité semble être une question centrale pour Maura Delpero : elle était au cœur de son premier (beau) film Maternal (prix oecuménique Locarno 2019), la revoici sous deux aspects très contrastés avec Lucia et sa mère. Un film intimiste et doux, d’une grande richesse humaine.
Patrick Lauras