Un film riche en questionnements philosophiques et éthiques. La science-fiction, et le fantastique en général, confirment leur disposition à soulever les questions les plus existentielles de la condition humaine, politique philosophique et quotidienne.
MICKEY 17 de Bong Joon Ho, 2025, 2h17,Etats-Unis. Avec Robert Pattinson,Toni Collette, Naomi Ackie, Steven Yeun, Mark Ruffalo, Anamaria Vartolomei, Daniel Henshall, Stuart Whelan. Berlinale 2025, hors compétition.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Adapté du roman Mickey 7 d’Edward Ashton, Mickey 17 est un film de science-fiction dystopique. En 2054, Mickey Barnes, chef pâtissier endetté se retrouve obligé de fuir dans une mission de colonisation de la planète glacée Niflheim, organisée par un milliardaire et homme politique, Kenneth Marshall. Il devient un «remplaçable», un «expendable», un travailleur en bas de l’échelle sociale, un homme à tout faire, corvéable à merci. À chaque disparition, une nouvelle version de Mickey est recréée et «réimprimée» automatiquement par une bio-imprimante 3D. A chaque fois, sa conscience est réintégrée dans un nouveau corps cloné. Il conserve ses souvenirs mais reste prisonnier du système. A sa 17e itération, il est présumé mort, et Mickey 18 est alors mis en service. Pourtant Mickey 17 a survécu. Selon le protocole, les clones multiples doivent être éliminés. Face à cette menace, Mickey 17 et Mickey 18 vont tenter de déjouer leur sort, s’allier pour échapper à l’obligation d’être effacés et trouver un sens à leur existence clonée.

Plusieurs thèmes majeurs se dégagent dans ce film : la critique et les dérives du capitalisme, la déshumanisation au travail, les dérives autoritaires, les dangers de la mégalomanie, l’immortalité, l’éthique du clonage et les dilemmes moraux, ainsi que la colonisation, le consumérisme et la corruption. L’un des axes principaux est la quête d’identité dans un monde où l’immortalité est accessible grâce au clonage. Le personnage de Mickey se trouve confronté à la question fondamentale de savoir ce qui définit réellement l’être humain lorsque celui-ci est capable de vivre plusieurs vies.
Le clonage est traité sous un angle à la fois scientifique et éthique. En multipliant les copies de Mickey, le récit interroge les limites morales de l’exploitation de la vie humaine à des fins utilitaires. Le film de Bong Joon Ho accentue cette dimension avec des dialogues qui font écho aux débats actuels sur l’éthique en science et en technologie. Cette réflexion sur la condition humaine se traduit par des questionnements sur le libre arbitre et le destin. Etre réplicable à volonté, questionne notre unicité et notre singularité. Cette possibilité de reproduction infinie soulève des interrogations profondes sur la valeur de la vie humaine et la liberté de choix. Être réplicable signifie devenir remplaçable, perdant ainsi notre individualité et notre libre arbitre. Mickey 17 est aussi une « parabole » sur notre monde actuel, barbare et déshumanisé, où les hommes et les femmes sont considérés comme des objets exploitables et échangeables.
Avec Parasite, Bong Joon ho avait livré une critique tranchante du capitalisme et de la lutte des classes, où l’ascension sociale était une illusion et où la violence des privilégiés se manifestait dans leur insouciance totale face à un monde qui souffre. Le réalisateur poursuit sa critique des systèmes oppressifs et de la lutte des classes. À travers Mickey, figure du travailleur exploité et interchangeable, le film devient une satire cinglante du monde du travail moderne.

On retrouve dans ce film, tout comme dans The Host, la passion du réalisateur pour les monstres. L’envahisseur et les menaces d’extermination font écho à l’éternel affrontement des hommes contre des créatures «incomprises». En mettant en perspective le combat des néo-terriens contre les autochtones de la planète (les Rampants), le film montre le mode opératoire des dirigeants qui désignent un ennemi créé de toute pièce pour pousser au combat. Un combat, qui souvent n’a pas lieu d’être en l’absence de toute réelle menace. La seule vraie menace finalement concerne ces autocrates avides de pouvoir.
Le réalisateur choisit de montrer les personnages et les situations sous un angle souvent humoristique. Robert Pattinson est très convaincant dans le rôle de Mickey. Il incarne à la perfection cet humain un peu (trop) naïf pris au piège d’un système cruel. À ses côtés, Mark Ruffalo, incarne merveilleusement Kenneth Marshall, figure politique grotesque, commandant tyrannique et inconscient. Toni Collette, sa femme obnubilée par le pouvoir et l’image qu’elle projette, illustre l’hypocrisie des élites. Naomi Ackie, qui interprète excellemment Nasha est une soldate compétente qui remet en question les normes établies, apportant une dynamique de résistance face à ce système absurde.

La construction du film alterne entre des scènes d’action intense et des moments de comédie noire, créant un équilibre entre tension dramatique et satire mordante. Sur le plan visuel, la majorité du film se déroule dans l’espace et sur une planète hostile, recouverte de neiges éternelles et balayée par des tempêtes. violentes.
Entre comédie satirique, thriller psychologique et fable existentielle, Bong Joon Ho nous offre un scénario intelligent et une mise en scène aussi glaciale que son décor. Les effets spéciaux sont remarquables et le travail sur les décors sont impressionnants : un film de science-fiction politique, original, intelligent, inventif et décapant.
Philippe Cabrol