Le scénariste et réalisateur Éric Besnard aime les premières fois. Dans sa nouvelle réalisation, Louise Violet, il s’attache à défendre la loi de Jules Ferry, à l’origine de l’un des actes fondateurs de la République française, à savoir l’instauration de l’école »gratuite, obligatoire et laïque ».
LOUISE VIOLET d’Eric Besnard. France, 2024, 1h48. Avec Alexandra Lamy, Grégory Gadebois, Jérôme Kircher, Jérémy Lopez.
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
Tout commence en 1889, la loi promulguée, il s’agit maintenant de l’appliquer. Ceux que l’on appelle depuis lors les »hussards noirs de la République » sont envoyés partout en France ouvrir des écoles. Cent ans après la Révolution, il s’agit de faire nation et d’inculquer à tous, garçons et filles, un socle commun de connaissances et de valeurs. Dans les campagnes reculées, où la vie suit le rythme des saisons et des travaux des champs, la chose s’avère peu aisée. Les enfants sont réquisitionnés dès le plus jeune âge pour aider leurs parents aux tâches de la ferme et perpétuer la reproduction sociale immuable du monde rural. Il y a peu de place pour les désirs de progrès et encore moins d’émancipation personnelle.
C’est dans ce contexte que Louise Violet est envoyée dans un village reculé du Puy-de-Dôme. C’est une femme éduquée et solide dans ses convictions, même si fêlure et mystère planent autour d’elle. Accueillie avec beaucoup d’indifférence, elle se heurte à des gens qui n’aiment guère les étrangers mais se trouve un allier en la personne du maire qui va lui donner les clés pour pénétrer le monde paysan et s’en faire accepter.
Louise Violet est incarnée par Alexandra Lamy. La comédienne, découverte sur le petit écran dans la série Un gars, une fille, est désormais abonnée aux comédies légères. La voilà dépaysée dans un rôle dramatique, qui plus est un film d’époque en costume, une première pour elle. Elle habite pleinement le personnage et lui donne du corps. Le corset qui l’habille lui profère une droiture qui l’impose physiquement dans sa manière de se déplacer ou de parler. Les gros plans sur son visage austère l’éclairent d’une tristesse amère au fond des yeux, qui contraste avec une volonté de fer d’accomplir sa tâche.
Éric Besnard ne cache pas une évidente référence à Louise Michel. Les deux Louise sont des Communardes passées par le bagne en Nouvelle-Calédonie. Mais le parallèle s’arrête là car Louise Violet refuse la violence et se met au service de la Troisième République. Le personnage est une pure fiction qui recoupe les réalités de l’époque, celle des premières institutrices à sortir de l’École Normale dans les années 1886/1887.
Louise Violet, parisienne progressiste et révolutionnaire, se retrouve face à un mode paysan conservateur et propriétaire. Le film montre une société en pleine mutation où les jeunes partent à la ville chercher des emplois de domestiques pour échapper au poids des traditions et au manque de perspective. Il brosse le portrait d’une France illettrée où la vaste majorité des gens, petits et grands, ne savent ni lire ni écrire.
Les paysans ne sont pas bêtes pour autant, à l’image du maire du village, un peu bourru et solitaire, mais pas insensible au charme de Louise. Il est interprété par Grégory Gadebois, un des acteurs fétiches du réalisateur. Les personnages secondaires sont campés principalement par des comédiens de théâtre. Quant aux enfants, ils sont tous incarnés par des jeunes de la région, à l’exception de la jeune Manon Maindivide.
Filmé dans les paysages magnifiques de la Haute-Loire, Louise Violet offre une photographie à couper le souffle, dans une campagne enneigée notamment, qui montre une grande humilité du rapport à la nature. On se croirait tout droit sorti d’un tableau de Millet avec des accents de La Terre d’Émile Zola.
Sans être trop ouvertement militant, le film distille de vrais messages qui résonnent avec l’actualité. Louise Violet est avant tout une histoire de transmission de l’essence même du pacte social et républicain à travers l’école et la sacralisation du métier d’enseignant. Le film évite l’écueil d’un manichéisme trop prononcé même s’il tombe un peu dans le pathos vers la fin. Il reste un film simple qui aborde diverses problématiques et rend hommage au bon sens du monde paysan qui a su évoluer et se réinventer.
Anne Le Cor