Ce long-métrage nous plonge au cœur de l’élection papale et nous dévoile un processus sacré où rivalités politiques et intrigues personnelles se heurtent à des enjeux de foi.
CONCLAVE d’Edward Berger. Etats-Unis/Grande-Bretagne, 2024, 2h00. Avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Isabella Rossellini
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Adapté du roman éponyme de Robert Harris (2016), Edward Berger s’inspire pour sa mise en scène de thrillers paranoïaques américains des années 1970. Conclave se déroule en 72 heures intenses dans l’enceinte secrète et chargée d’histoire du Vatican.
Le récit s’ouvre sur une déclaration solennelle : »Le trône du Saint-Siège est vacant ». Ces
mots annoncent la mort du pape et marquent le début d’un conclave où les cardinaux sont
appelés à élire son successeur, comme le veut la tradition de l’Eglise catholique. Le cardinal
Lawrence, doyen du Collège des cardinaux, se retrouve responsable pour organiser la
sélection de son successeur. Alors que les machinations politiques au sein du Vatican
s’intensifient, il se rend compte que le défunt leur avait caché un secret qu’il doit découvrir
avant qu’un nouveau pape ne soit choisi. Le cardinal Lawrence est conscient qu’il préside une
lutte sans merci entre libéraux et conservateurs, les deux factions étant convaincues d’agir
dans l’intérêt de l’humanité.
Le cardinal Lawrence vit une crise de foi personnelle qui a des répercussions sur le collectif.
Il maintient le plus possible une expression bienveillante et sereine lors de ses échanges avec
ses pairs. Est-il une figure bienveillante motivée par la préoccupation, ou plutôt un stratège
rusé dissimulé sous l’ambition, désespéré d’accéder au trône papal ? Cependant face aux
turpitudes de ses pairs, le cardinal Lawrence entend mener le processus à son terme.
Le défunt pape, apprend-on, était un libéral et un réformiste convaincu. Il avait semé quelques graines qui pourraient faire élire un pape rassembleur, intègre et humble. Or, deux des favoris dans la course défendent des vues conservatrices face à un troisième candidat jugé très libéral pour rallier une majorité. Pour gagner, jusqu’où les uns et les autres sont-ils prêts à aller ? Révélations, turpitudes, corruption…
Les cardinaux s’agitent dans des manœuvres politiques, idéologiques et des jeux de pouvoir.
Le film montre les dérives de ces hommes puissants, sans en négliger les intrigues. Très vite,
nous découvrons que derrière la sérénité apparente des débats se cache une guerre silencieuse de manipulations et d’ambitions.
Le pouvoir est le thème central du film. Des répliques marquantes ponctuent le film, ainsi
«Les hommes les plus dangereux sont ceux qui veulent être papes». Cette phrase illustre à
quel point l’élection papale peut être autant, voire moins, une quête divine qu’un affrontement humain. Un cardinal déclare à un confrère que tous les hommes occupant leur fonction rêvent en secret de devenir pape, ou encore »Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que tu n’as jamais songé au nom du pape que tu choisirais ? », »C’est une guerre ! Et vous devez prend parti », dit un cardinal progressiste au cardinal Lawrence.
Nous ne retrouvons pas, dans ce long métrage, les mots du Christ : »celui qui veut devenir
grand parmi vous sera votre serviteur; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre
esclave » (Matthieu 20, 26-27). Conclave est aussi un plaidoyer contre les certitudes. Dès les
premières minutes, on apprend que le défunt pape éprouvait des doutes. Non pas sur Dieu,
mais sur l’Église. Puis, vient le discours d’ouverture du conclave, où le cardinal Lawrence
déclare : »Il y a un péché que je crains plus que tous les autres… la certitude ».
Le film est très précis sur de nombreux points. Il recrée les chambres de la maison d’hôtes – la Domus Sanctae Marthae – où les cardinaux séjournent pendant le conclave. On nous montre également la fermeture de la chambre du pape défunt et la destruction de sa bague, les serment prêtés par les cardinaux avant de voter, l’utilisation de produits chimiques pour s’assurer que la bonne couleur de fumée sort de la cheminée pour indiquer le résultat (noir pour l’absence de décision et blanc pour montrer qu’un pape a été choisi), et le balayage de la chapelle Sixtine pour les appareils d’écoute.
Mais, dans ce film, le conclave, présenté uniquement comme un événement politique, n’a pas
la profondeur spirituelle qui aurait pu hisser l’histoire au-delà du simple suspense. Le film
comporte peu de discours religieux pertinents ou de conversations profondes sur
l’interprétation de la liturgie. Edward Berger semble peu intéressé par la religion catholique,
ses spécificités, son administration, les débats internes qui la rendent contemporaines et
vivante. Quand des cardinaux évoquent leurs difficultés face à la prière, leurs doutes, le film
n’apporte aucun approfondissement à ces réflexions.
Avec une mise en scène remarquable et une reconstitution parfaite et très convaincante, le
réalisateur Edward Berger réussit à nous transporter dans ce lieu mystérieux, feutré, loin du
regard. Pas de flash-back, l’ordre chronologique des faits est respecté, et permet aux
spectateurs de bien suivre et de comprendre le protocole du conclave du début à la fin. Les
contres plongés nous font embrasser d’un seul regard l’immensité de la salle, les plans
rapprochés des cardinaux accentuent l’impression d’être au sein même de cette cérémonie en
huis clos.
Les costumes, les décors sont magnifiques. La photo est splendide entre les fresques de la
chapelle Sixtine, la coupole de la basilique et les colonnes du Vatican. La musique de Volker Bertelmann sert à merveille la tension narrative grâce à une musique dominée par les
instruments à cordes. Le film est remarquablement porté par Ralph Fiennes – dont la performance incarne l’intelligence et la moralité du cardinal Lawrence – Stanley Tucci, John Lithgow, Sergio Castellitto. Quant à Isabella Rossellini, qui joue le rôle de sœur Agnès, elle est saisissante, notamment lorsque, exposée à l’impact majeur de la politique du Vatican, elle décide de se manifester. Elle fait de son mieux pour que l’élection soit juste et équitable, mais aussi pieuse qu’elle puisse être, elle n’est qu’une membre fondamentalement impuissante de la Curie romaine.
Au-delà de l’intrigue politique, le film soulève des questions sur la place de l’Église dans le
monde moderne, les luttes de pouvoir au sein de l’institution et les défis auxquels fait face le
catholicisme contemporain. En explorant les coulisses de cette élection, Conclave est une
exploration sur la foi, l’ambition et les compromis moraux dans un monde en mutation.
Signalons que le cinéaste insiste pour dire qu’il ne veut pas faire passer de »messages » sur
l’état du monde avec son film : »chacun se fera sa propre opinion. Je veux laisser
l’interprétation ouverte au public, sans lui dire quoi penser ».
Philippe Cabrol