Les mouches noires ce sont celles qui tournent autour des cadavres en putréfaction. La mort est omniprésente dans ce film, le dernier film du réalisateur français Jean-Stéphane Sauvaire, mais il est aussi question d’anges, de chute et de rédemption.
BLACK FLIES de Jean-Stéphane Sauvaire. Etats-Unis, 2023, 2h03. Avec Sean Penn, Tye Sheridan, Michael Pitt, Raquel Nave
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
Les anges gardiens ce sont les ambulanciers paramédicaux des services d’urgence de New York. Ils sont les témoins bienveillants de toute la misère sociale et humaine qui sévit dans la ville qui ne dort jamais. Ils ne sont pas insensibles et chacun se protège à sa façon. Il y a les anges déchus, ceux qui ne supportent pas cette pression et s’en échappent par l’ironie ou le suicide. Et puis il y a Cross, le jeune nouveau, innocent, toujours sur la brèche mais qu’un moment d’épiphanie viendra sauver.
La ville de New York, souvent filmée de nuit, est le fil conducteur du réalisateur français devenu newyorkais d’adoption et qui en brosse un portrait très actuel. La caméra portée à l’épaule est en totale immersion dans le tohu-bohu de la jungle urbaine. Certains plans d’une longueur signifiante exigent des acteurs qu’ils jouent de façon très réaliste afin de coller au mieux aux gestes précis et aux émotions palpables des urgentistes. Le réalisateur retrouve là la façon de filmer du documentariste qu’il est aussi et insuffle à son film un côté documentaire agrémenté d’un pendant plus onirique. Il avait à cœur de filmer la réalité et la ville et des gens qui la composent. Il a ainsi utilisé des acteurs non professionnels dans des rôles mineurs et a même tourné certaines scènes dans sa propre maison.
Olly Cross, lui, vient du Colorado et est un peu perdu dans la grande ville. Le film est un récit initiatique qui se déroule de son point de vue. Tout son monde baigne dans un fort symbolisme et même son nom a un sens : Olly Cross sonne comme Holly Cross qui signifie la Sainte Croix. C’est un personnage christique qui porte un blouson avec des ailes d’ange dans le dos. Il évolue dans un environnement négatif fait de violence et de vulgarité qui chaque jour ébranle ses certitudes sur la vie et la mort. Le jeune acteur américain Tye Sheridan qui l’interprète trouve là un rôle intense et complexe auquel il faut donner corps.
Face au jeune Cross, Gene Rutkovsky est un urgentiste expérimenté. Le personnage est connecté à l’acteur qui l’incarne, Sean Penn. Tous deux ont l’expérience du terrain en termes d’aide humanitaire. Rompu à toutes les situations, Rutkovsky est pourtant l’archétype de l’ange déchu. Désabusé, il a perdu la foi en la nature humaine. Bientôt le jeune prend le dessus sur l’ancien dans une inversion des rôles de leader. Cross ne sombre pas et connaît la rédemption.
Ce qui tourne dans la tête de Cross et des autres ambulanciers ce sont les idées noires. Le film s’attaque au mal du moment, les troubles liés la santé mentale et leurs conséquences qui font des ravages aux États-Unis. Face à un quotidien souvent sordide où ils sont confrontés à la douleur et la souffrance, beaucoup deviennent vulnérables et craquent. Il y a une ambiguïté dérangeante dans l’humour noir exprimé aux pires moments. LaFontaine, le personnage interprété par Michael Pitt, incarne ce côté presque diabolique et primitif de l’instinct de survie des urgentistes.
Black Flies est un vrai film américain, sombre et palpitant, toujours très rythmé d’images fortes, de sons assourdissants et d’une musique tonitruante quasi organique. Basé sur le roman 911 de Shannon Burke et tourné tambour battant en 23 jours seulement, le film montre toute la violence physique et verbale que subissent les secours de la part des personnes qu’ils viennent pourtant sauver. La lumière vient cependant déchirer le voile noir de la misère humaine et le miracle est là qui s’épanouit d’un simple ‘merci’.
Anne Le Cor