Ce long-métrage du couple Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha raconte l’histoire tendre et tragique de deux solitudes qui se trouvent malgré leur âge avancé, malgré les restrictions et les interdits qu’impose le régime iranien d’aujourd’hui.
MON GATEAU PREFERE de Maryam Moghadam et de Behtash Sanaeeha. Iran/France/Suède/Allemagne, 2024, 1h 36. Avec Lili Moghadam, Esmaeel Mehrabi, Mansoore Iikhani. Compétition officielle Berlinale 2024, prix du jury œcuménique.
Critique de Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France
La séquence d‘exposition mène tout droit vers le réalisme tandis que Mahin, avachie sur son lit, est réveillée par le téléphone. Mahin, septuagénaire, vit seule à Téhéran depuis que son mari est mort.
Dans une pièce où peu de lumière filtre, Mahin, alors assise à sa table, regarde le vide, le vide de sa vie tandis qu’elle avale son thé sans entrain. Sa vie est monotone, monocorde, rythmée par les coups de fil de sa fille ou par les goûters de copines ennuyeuses qui se gargarisent de leurs problèmes d’âge et de santé et ne trouvent rien de mieux à offrir à leur amie qu’un tensiomètre en guise de cadeau.
S’en suit une séquence d’action pour Mahin qui décide de résister à cet ennui, à la torpeur de son statut de veuve esseulée qui lui impose des interdits. Elle décide de braver ces interdits et de réveiller sa vie amoureuse. Dans un restaurant de retraités, elle jette son dévolu sur un homme qui semble seul ; cet homme, Faramarz est chauffeur de taxi. Mahin force un peu la rencontre en lui demandant de la ramener chez elle. Dans un superbe champ / contre-champ la conversation s’engage dans le taxi au fil de leur attirance ; elle est curieuse d’apprendre la vie de cet homme et lui, accepte l’invitation qu’elle lui propose.
Mahin arrivant chez elle ôte toutes les toiles de protection qui recouvraient tristement les meubles de son salon sombre ; elle se maquille, se pare d’une belle robe. Faramarz est ravi, ébloui. Le charme opère, le bon vin coule à flot malgré les interdits ; Faramarz répare la lampe du jardin que Mahin aime tant. La lumière renaît, la flamme se rallume et cette femme se réveille. Elle lui prépare son gâteau préféré.
La caméra les suit dans l’ivresse d’une danse : ils parcourent toute la pièce tandis qu’une mélodie joyeuse les envoûte ; ils sont superbes plein de tact et de sensualité ; chacun révèle sa beauté, tandis que la maison de Mahin gagne en chaleur, en couleur, en lumière. Les réalisateurs Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha concrétisent la symbiose entre les états d’âme des deux protagonistes et le lieu où ils évoluent : lorsqu’ils dansent, la salle de séjour qu’ils parcourent au rythme de leur attirance se trouve illuminée de tonalités, de lumières, de couleurs.
Les réalisateurs traduisent avec art et subtilité les changements d’état d’âme des protagonistes : Mahin seule dans son appartement a le moral si bas, si las, si désabusé est filmée dans plan fixe et ennuyeux. Dans le taxi elle est encore timide comme le traduit son petit sourire discret puis, dans le bras de Faramarz, elle rayonne d’un rire lumineux et épanoui. De même Faramarz, qui au premier abord, ne paie pas de mine, se révèle beau et émouvant et même « mignon » comme le lui dit Mahin. Tous deux cachent au fond d’eux un trésor de charme qui est révélé progressivement, avec douceur ; rien n’est brusque et brutal et leur rencontre semble être comme une évidence.
Mais voilà, la vie les rattrape, la vie les attrape comme dans la vraie vie de cet Iran cruel qui a privé de passeport les deux excellents réalisateurs, Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, invités au Festival international de Berlin 2024, où leur superbe film était en compétition et récompensé par le prix du jury œcuménique et le prix Fipresci. Maryam Moghadam est militante pour le droit des femmes ; écrivaine, journaliste et actrice, elle a joué dans le film Closed Curtain de Jafar Pahani et également dans le film Le Pardon, réalisé avec son mari Behtash Sanaeeha.
Chantal Laroche Poupard