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LES FANTOMES de Jonathan Millet

Présenté en ouverture de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes, le premier film de fiction de Jonathan Millet est un subtil thriller policier plongeant au sein de la communauté des réfugiés syriens, de part et d’autre du Rhin.

LES FANTOMES de Jonathan Millet. France/Allemagne/Belgique, 2024, 1h46. Avec Adam Bessa, Tawfeek Barhom. Festival de Cannes 2024, sélection Semaine de la critique.

Critique de Pierre-Auguste Henry, SIGNIS France

La guerre de Syrie et les atrocités commises par le régime de Bachar el-Assad ont fait fuir des millions de Syriens dont beaucoup ont trouvé refuge en Allemagne et en France, à partir de 2011. Ayant vécu quelques temps en Syrie pour des prises d’images, Jonathan Millet avait gardé contact avec bon nombre de réfugiés lorsqu’ils sont arrivés sur le vieux continent, avec des histoires incroyables d’espionnage, de soupçons et de traque d’anciens tortionnaires employés par le régime et ayant profité de l’exode massif de la population pour s’inventer une nouvelle vie ailleurs, une fois leur pays effondré.

Ce sont ces récits qui ont construit le scénario des Fantômes : des criminels de guerre Syriens se cachent en Europe sous de nouveaux noms, parmi leurs compatriotes réfugiés dont ils ont parfois été les bourreaux mêmes dans les prisons d’Assad. Si le film est une fiction, il est solidement arrimé à cette triste réalité.

Hamid (Adam Bessa) fait partie d’un groupe d’action clandestine traquant ces criminels entre Strasbourg et Düsseldorf. Il recherche un certain Harfaz (Tawfeek Barhom), un tortionnaire planqué quelque part en Allemagne et avec qui il a un  »lien » tragique. Avec l’aide d’autres réfugiés et de travailleurs humanitaires, il va essayer d’identifier formellement celui qui lui a fait subir les pires sévices et qui échappe à la justice alors même qu’expatrié tout près des tribunaux internationaux.

Le film prend la forme d’un thriller policier, fait d’écoutes, de renseignements glanés ça et là, et d’une bonne dose d’instinct qui impose de refaire face à des traumas inavouables. Tout l’enjeu de la traque est l’identification formelle d’Harfaz caché sous une autre identité, possiblement un professeur de littérature arabe récemment embauché par une université allemande. C’est une plongée fascinante dans une communauté que l’on pourrait naïvement croire très soudée mais où chacun se regarde en fait du coin de l’œil, essayant de ne pas dévoiler leur vie passée par peur de tomber sur un compatriote hostile – car tous savent que des loups se cachent au milieu d’entre eux. Une simple question comme  »Qu’est ce que tu faisais comme métier à l’époque à Alep ? » constitue possiblement un danger, isolant les gens dans la loi du silence, freinant la naissance d’amitiés et d’amours.

Adam Bessa, l’acteur Grassois couronné d’un prix d’interprétation cannois pour Harka, et Tawfeek Barhom forment un duo magistral de tension dans ce film de filature, réaliste dans sa fiction et qui, au-delà de cet aspect documentaire, aborde les questions de justice, de courage et de sens moral jusque dans son dénouement haletant. Les Fantômes éclaire la complexité à protéger ces populations et montre que le sens de l’asile ne s’arrête pas à l’accueil, mais va jusqu’à la nécessité d’écouter et d’accompagner ces réfugiés par les plus hautes voies judiciaires.

Pierre-Auguste Henry

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