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ALL WE IMAGINE AS LIGHT de Payal Kapadia

Aujourd’hui en Inde, trois femmes tentent de gérer au mieux une vie qu’elles n’ont pas choisie. Un film tendre et doux, entre le brouhaha des grandes villes et un espace d’amitié, avec un bel élan de cinéma.

ALL WE IMAGINE AS LIGHT de Payal Kapadia. France/Inde/Pays-Bas/Luxembourg, 2023, 1h54. Festival de Cannes 2024, compétition officielle, Grand Prix du jury. Avec Kani Kusruti, Divya Prabha, Chhaya Kadam.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

Le film s’ouvre avec une longue séquence fluide, une déambulation dans les rues d’une grande mégapole, entre transports en commun et trottoirs bondés. Le grouillement de la ville est scandé par les paroles de ceux qui la traversent, y vivent depuis toujours, ou sont venus pour trouver du travail ou une liberté inconcevable à la campagne. Une humanité pressée ou déchirée où, dans cette très belle ouverture, on découvre les trois protagonistes de ce récit.

Elles travaillent toutes les trois dans un même l’hôpital à Bombay. Prahba est infirmière, mariée à un homme parti travailler en Allemagne, dont elle n’a plus de nouvelle. Elle partage son petit appartement avec Anu, jeune infirmière, plus moderne et amoureuse d’un musulman. Parvaty est plus âgée, moins qualifiée et elle va être expulsée de son logement par des promoteurs peu scrupuleux de respecter ceux qui ne peuvent prouver leurs droits.

Il y a beaucoup d’entraide et de solidarité entre elles, malgré leurs caractères très différents. Prahba, toujours sérieuse, n’ose pas se plaindre du silence de son mari, ni répondre aux avances discrètes d’un médecin. Anu cherche un endroit où retrouver son amoureux, malgré tous les obstacles que le système de castes et les tensions religieuses imposent.

Après la fête de Ganapati, où les Hindous célèbrent Ganesh, le dieu qui enlève les obstacles, le film change totalement de décor et les trois femmes se retrouvent au bord de l’océan. Comme libérées des clameurs de la ville, elles semblent absorber le calme et la lumière venues de la mer, l’exubérance vivifiante de la végétation si présente désormais. Quittant le réalisme de la première partie du film, la réalisatrice ose un cinéma plus mystérieux et le récit devient plus énigmatique.

Superbement interprétées par trois actrices expérimentées, le film de Payal Kapadia trouve le ton juste pour faire du cinéma indien sans céder aux attentes des spectateurs occidentaux. Ses personnages féminins s’expriment plus par le regard que par les mots. Elles sont toujours dignes et respectueuses des lois de la société dont elles sont issues. Refusant le rôle de victimes, elles savent trouver un échappatoire avec subtilité.

La réalisatrice clôt son film sur un joli moment de grâce où les trois femmes se retrouvent à la terrasse d’un café. La nuit va bientôt tomber, elles sont désormais toutes les trois sereines, prêtes pour un futur pas forcément plus simple mais mieux accepté. En arrière plan, la silhouette discrète d’une nouvelle génération apporte l’espoir de changements durables pour le destin des femmes indiennes.

Magali Van Reeth

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