A travers une famille élargie de réfugiés afghans qui tente de reconstruire sa vie dans »le pays de ses frères », ce film développe trois récits qui s’entrecroisent et montrent trois facettes du combat, de la fragilité et des humiliations subies par les réfugiés afghans en Iran.
AU PAYS DE NOS FRERES d’Alireza Ghasemi et Raha Amirfazli. Iran, 2024, 1h35. Avec Mohammad Hosseini, Hamideh Jafari, Bashir Nikzad, Marjan Khaleghi.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Cinq millions d’Afghans sont aujourd’hui réfugiés en Iran. Cette terre de la fraternité qu’évoque le titre, c’est l’Iran, un pays que la communauté afghane surnomme « la Terre de leurs frères », avec lequel les Afghans partagent la même langue et la même culture. C’est une thématique originale et audacieuse, autour d’un sujet de société méconnu à travers le cinéma iranien : l’accueil iranien fait aux réfugiés afghans, que nous propose le premier film d’Alireza Ghasemi et Raha Amirfazl.

Le film déroule sur vingt ans en trois parties (2001, 2011, 2021), depuis les lendemains des attentats du 11 septembre 2001 et la guerre menée par les États Unis à leurs auteurs, jusqu’à la période du covid et de la guerre menée en Syrie à Daesh. Ces trois réfugiés afghans sont contraints de mentir pour des sujets dramatiques et traumatiques afin de survivre et protéger leur famille. Chaque volet se concentre sur un protagoniste. Leila est le seul personnage qui traverse l’intégralité du film.
La première partie s’articule autour de Mohammad, un lycéen qui subit le harcèlement d’un policier iranien, lequel le réquisitionne pour ranger des archives dans un sous-sol inondé. Mohammad est secrètement amoureux de Leila, mais Quasem, le frère aîné de Leila, a déjà arrangé son mariage.
Dix ans plus tard, Leila est devenue, auprès de son mari, employée de maison d’une riche famille dans une villa en bord de mer. Quand son mari meurt brusquement, elle tente de cacher le décès par crainte de l’expulsion pour elle et son enfant.
En 2021 Qasem, le frère de Leila, est convoqué par le bureau de l’immigration où un fonctionnaire lui apprend la mort de son fils. Qasem croyait son fils émigré en Turquie, alors qu’il avait rejoint les forces iraniennes combattantes en Syrie.
Chaque volet du film dévoile un visage de la société iranienne. Les trois personnages, saisis par leur silence, leur secret et leur peur, ont beaucoup de mal à trouver leur place dans une société qui les renvoie à leur condition de réfugiés : mariage, études, confrontation entre les générations. Chacun des trois récits voit son protagoniste confronté à la résolution d’un drame et mis en difficulté parce qu’il n’a pas les mêmes droits que les citoyens iraniens.
Au Pays de nos frères montre le destin des réfugiés afghans : discrimination, exploitation économique, abus de pouvoir des forces de police, aveuglement volontaire d’une classe sociale iranienne aisée exploitant une main d’œuvre sans papiers et en détresse, utilisation des nouveaux arrivants dans des guerres qui ne les concernent pas.

»Nos frères afghans, depuis qu’ils sont arrivés en Iran, ont prouvé leur fraternité à de nombreuses reprises. Mais la réalité du quotidien des immigrés afghans est beaucoup moins rose que leurs rêves et que les discours officiels ne le laissent supposer » ont déclaré les réalisateurs. En effet, leurs conditions de vie dans ces pays sont de plus en plus rudes. Le sentiment anti-afghan monte, et les expulsions se multiplient, particulièrement depuis 2023. Les conditions précaires de ces réfugiés les conduisent dans des situations de sous-citoyenneté avec une stratégie de survie omniprésente, pour chaque individu préoccupé du bien-être de sa famille.
En quarante-cinq ans, plus de 8,2 millions d’Afghans ont quitté leur pays et se sont réfugiés dans les pays voisins ou au-delà. Cette vague migratoire, résultant des conflits persistants depuis la fin des années 1970, a donné naissance à l’une des plus grandes populations de réfugiés de l’histoire récente. Environ 5 000 Afghans entreraient chaque jour en Iran, de manière illégale pour la plupart. Près des deux tiers seraient rapidement renvoyés. Dès la fin de l’année 2023, l’Iran a accéléré le rythme de ces expulsions.
Signalons que Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi, par la succession de ces trois histoires, sous l’apparence de courts métrages, ont pu contourner les contraintes de la censure. Les deux réalisateurs sont actuellement exilés : l’une à New York et l’autre à Paris. Ils portent un témoignage sur la détérioration de la situation des réfugiés afghans en Iran et sur la fragilité de leur place, avec justesse, lucidité et empathie. Au-delà du récit, ce long-métrage interroge la société iranienne et son gouvernement autoritaire théocratique.
Philippe Cabrol