Du 25 au 29 novembre 2023, la capitale de la Thaïlande, Bangkok, a accueilli les membres du Conseil d’Administration de SIGNIS qui se sont réunis pour la première fois depuis leur nomination. La réunion a été un moment important pour partager les dernières nouvelles des différentes régions de SIGNIS à travers le monde et réfléchir à la manière de renforcer le travail accompli. Cela signifie engager plus de jeunes dans les médias, offrir plus d’ateliers sur la production médiatique, donner plus de pouvoir aux femmes à travers des programmes de formation aux médias, réaffirmer notre présence de longue date dans les festivals de films à travers le monde, et plus encore.
Les participants, qui ne font pas seulement partie du Conseil d’administration mais supervisent aussi les activités des d”épartements de SIGNIS qui se concentrent sur différents domaines médiatiques (cinéma, télévision, journalisme, médias numériques, radio et éducation aux médias), ont commencé les journées de travail par un discours inspirant du Dr. Paolo Ruffini, préfet du Dicastère du Vatican pour la Communication, qui a offert une réflexion sur l’importance de la communication non seulement pour l’Eglise mais aussi pour bâtir des communautés.
« Bonjour et merci.
Vous pouvez difficilement imaginer à quel point c’est important pour moi, à quel point c’est important et significatif d’être ici avec vous. Ici, en votre présence. Ici, après la première assemblée synodale. Ici, dans une période de perturbation qui nous met au défi.
Une époque qui semble avoir « perdu le chemin de la paix » (cf. Pape François, Prière pour la paix, 27 novembre 2023) ; une époque qui semble incapable de réagir à la crise écologique qui « s’effrite et s’approche peut-être du point de rupture » (Laudate Deum).
Si vous êtes ici, si nous sommes ici, je pense que c’est justement pour nous interroger : Où sommes-nous dans ce monde ? Où sommes-nous dans ce temps ? Que devons-nous faire ?
Où devons-nous aller ?
Si nous examinons le document de synthèse de l’assemblée synodale pour chercher une orientation, nous pouvons y trouver de nombreuses sources d’inspiration pour la communication à l’ère numérique. C’ est notre domaine. Mais l’inspiration la plus importante est la redécouverte de notre mission en tant que communicateurs professionnels dans le sens le plus large et le plus ouvert possible : comme une manière de relier le journalisme, l’art, la littérature, la musique pour tisser la communion qui nous unit tous.
Quelle est la mission de SIGNIS si ce n’est exactement cela ?
Non pas une bureaucratie ecclésiale, un lieu de pouvoir, mais une communion de serviteurs appelés à être des travailleurs, des tisserands d’une culture différente de celle, commune aujourd’hui, fondée sur la division.
En ce sens, nous ne devrions pas penser que l’expression « missionnaires numériques » (ou toute autre expression similaire) signifie que nous sommes ou sommes supposés être quelque chose de séparé du peuple de Dieu.
Comme l’écrit le pape François dans Evangeli Gaudium, dont nous avons célébré hier [26 novembre] le dixième anniversaire :
chaque chrétien est appelé, ici et maintenant, à s’engager activement dans l’évangélisation ; en effet, quiconque a vraiment fait l’expérience de l’amour salvateur de Dieu n’a pas besoin de beaucoup de temps ni d’une longue formation pour sortir et proclamer cet amour. Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu dans le Christ Jésus: nous ne disons plus que nous sommes « disciples » et « missionnaires », mais que nous sommes toujours des « disciples missionnaires ». Si nous ne sommes pas convaincus, regardons ces premiers disciples qui, immédiatement après avoir rencontré le regard de Jésus, sont allés l’annoncer joyeusement: « Nous avons trouvé le Messie ! « Nous avons trouvé le Messie ! (Jn 1,41). La Samantaine est devenue missionnaire immédiatement après avoir parlé avec Jésus et de nombreux Samaritains ont cru en lui « à cause du témoignage de la femme » (Jn 4,39). De même, saint Paul, après sa rencontre avec Jésus-Christ, « annonça immédiatement Jésus » (Ac 9,20; cf. 22,6-21). Qu’attendons-nous donc ?
Nous devons faire plus, et plus, et plus … pour mûrir dans notre travail d’évangélisation.
Puisque, comme vous le savez, la communication n’est pas simplement le fait de donner des informations, puisque tisser une communion entre journalistes, réalisateurs, graphistes, écrivains, romanciers, acteurs, interprètes,acteurs culturels, est en soi le moyen de communication le plus puissant. C’est exactement le défi et la tâche unique des hommes et des femmes de SIGNIS : être un réseau qui unit et qui libère.
Nous devons prendre au sérieux la leçon du bon Samaritain. Ce n’est qu’en renforçant notre réseau que nous pourrons être un point de référence pour le débat culturel dans chacun de nos pays et gérer le conflit potentiel entre liberté et responsabilité.
Nous devons être conscients et nous sentir responsables – face à l’insignifiance toujours plus grande de la pensée homologuée – de l’attention portée au monde catholique, à notre capacité de redonner du sens aux choses. De notre capacité d’écoute et de partage. De notre capacité à être libres, à poser des questions, à ne pas nous résigner ou acquiescer.
De nombreux défis nous attendent. Mais une règle les décrit tous : la créativité missionnaire est fondée sur l’amour, un amour patient, bienveillant, qui ne jalouse pas, qui ne se vante pas, un amour qui n’est pas orgueilleux. Il ne déshonore pas les autres, il n’est pas égoïste…. » (cf. 1Cor13,4 ss).
C’est ce que nous a dit l’Assemblée synodale qui vient de s’achever. Indiquer un chemin et non un menu pour être de bons Samaritains dans ce monde blessé.
Et aussi une grande tentation à éviter: la tentation de l’orgueil autoréférentiel, souvent déguisé sous un habillage apparemment séduisant. Mais « Dieu a dispersé les orgueilleux dans leurs pensées intimes » (Lc 1,51).
Jésus a utilisé des mots sévères à l’encontre des docteurs de la loi qui « ont enlevé la clé de la connaissance »: « Vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et vous avez empêché ceux qui voulaient entrer d’entrer » (cf. Lc 11, 52).
Je pense que cet avertissement ne devrait pas se limiter à l’histoire d’il y a 2 000 ans. Il nous concerne également aujourd’hui.
En tant que communicateurs, SIGNIS, ne soyons pas comme ces docteurs de la loi.
Que la porte de personne ne soit fermée à ceux qui veulent entrer.
La règle des processus décisionnels les plus participatifs est de « se faire tout à tous » (cf. 1 Corinthiens 9:22),
Ne nous fions pas au fonctionnalisme, avec l’illusion – comme le dit le Pape François – de « résoudre les problèmes nous-mêmes en « couvrant » la situation, en gardant tout sous contrôle, en augmentant notre pertinence, en améliorant les choses ». Une Église qui a peur de se confier à la grâce du Christ et qui se concentre sur l’efficacité de sa bureaucratie », a déclaré le pape dans son message aux Œuvres pontificales missionnaires en 2020, « est déjà morte, même si les structures et les programmes qui favorisent l’intérêt du clergé ou des laïcs « égocentriques » perdurent pendant des siècles ».
Nous savons tous qu’il n’est pas facile, à notre époque, de comprendre ce que le Seigneur nous demande. Il y a tant de choses que nous ne savons pas encore.
Et tant d’autres que nous ne comprenons pas. Tant de personnes dont nous ne sommes pas encore capables de porter le fardeau.
Tout est écrit. Nous savons que nous ne savons pas. Mais il y a aussi beaucoup de choses que nous savons.
Posons-nous donc la question :
⁃ Quel est le charisme de SIGNIS ?
⁃ Comment pouvons-nous – en parlant de SIGNIS – détacher notre service du pouvoir et de ses signes, de ses symboles mondains ?
⁃ Comment pouvons-nous être le sel du monde de la culture et de la communication ?
⁃ Sommes-nous savoureux ou fades, sans saveur ?
⁃ Que sommes-nous prêts à abandonner pour répondre à l’appel, et qu’est-ce qui, au contraire, nous mettrait en situation de crise si on nous demandait d’y renoncer ?
Ces questions sont utiles pour comprendre ce que nous recherchons :
- De quoi avons-nous peur ?
⁃ A quoi sommes-nous attachés ?
Dans la salle du secrétariat du Synode, il y avait un panneau « Please, do disturb ». Cette règle devrait s’appliquer à tous ceux qui se voient confier une responsabilité décisionnelle.
Laissons-nous déranger par l’Esprit et par les autres. Dérangeons-nous les uns les autres pour faire notre examen de conscience. Où en sommes-nous dans notre cheminement ?
Peut-être, comme le disait le père Primo Mazzolari, prêtre italien décédé après le Concile Vatican Il qu’il avait anticipé dans sa prédication, devons-nous nous aussi comprendre qu’il est temps de rentrer à la maison :
« Quelles leçons et quelles expériences devons-nous encore vivre pour comprendre que nous sommes tous des fils prodigues ? Pour comprendre que ce pauvre monde matérialiste et calculateur qui est le nôtre ne peut être sauvé sur le plan du calcul et de la quantité ?
… La Providence nous coupe les amarres »
Peut-être que pour être significatifs en tant qu’Église synodale, nous devons tous mourir un peu à nous-mêmes, à nos peurs, nous reconnaître comme des enfants prodigues et retourner au Père pour être des enfants libres. C’est ce dont l’Église a besoin aujourd’hui: des personnes libres d’elles-mêmes et donc capables de tisser la communion.
La pauvreté devrait être une dimension constitutive de notre identité d’Église en marche. Sans baton de marche et sans sacoche (cf. Matthieu 10,9-10 ; Luc 9,1-6).
Tout l’Évangile nous le dit: pratiquer la simplicité dans nos institutions, rechercher une créativité missionnaire qui naît de la pauvreté.
Cela peut se faire également dans le domaine de la communication, de la culture, du cinéma, de l’art.
Nous ne devons pas avoir peur, nous ne devons pas penser aux coûts de ce partage, parce qu’il ne sera pas un coût, mais un atout. Ce ne sera pas un fardeau, mais une incitation à vivre la joie de la communion. Ce ne sera pas une superstructure, mais notre manière d’être une Église synodale sortante. Sans or ni argent, sans canne ni sacoche.
Les temps difficiles que nous vivons, les heures sombres que nous traversons, nous demandent peut-être une sorte d’abandon du contrôle, voire une sorte de mort. Comme nous le dit le pape François, nous avons besoin de courage et de liberté lorsque, dans les luttes de nos âmes, nous sommes appelés à prendre des risques. Mais là où il n’y a pas de risque, il n’y a pas de fécondité.
Dans Evangeli Gaudium, le pape François écrit : il n’y a pas de plus grande liberté que de se laisser conduire par l’Esprit, de renoncer à tout calculer et à tout abandonner, et de lui permettre de nous éclairer, de nous guider, de nous pousser où il veut.
Renoncer au contrôle ne signifie pas ne rien faire !
L’Église ayant été une structure de contrôle, une intervention forte est parfois nécessaire pour permettre à l’Esprit Saint de nous conduire là où nous n’aurions jamais pensé aller.
Propulsons les plus jeunes d’entre nous. Les jeunes ne sont pas appelés à remplacer les personnes âgées, mais à faire ce que nous ne pouvons pas imaginer. Rien de nouveau ne naît du jour au lendemain. Mais il est nécessaire d’initier des processus. Et de les cultiver.
Et tandis que la semence de la nouveauté est plantée, il est nécessaire de ne pas laisser mourir l’arbre qui a généré cette semence
Il faut donc qu’il y ait ceux qui imaginent de nouvelles choses et ceux qui gèrent l’héritage de la tradition en la renouvelant. Il faut savoir montrer comment la foi peut être un « ciment » pour reconstruire et unir la communauté blessée. Il faut aussi savoir promouvoir l’Église comme communauté artistique créative, c’est-à-dire recréer l’Église dans l’art, la musique, la littérature.
Il peut y avoir des façons d’être SIGNIS que nous ne pouvons même pas imaginer aujourd »hui.
Dans l’une des méditations qu’il a prononcées lors du Synode, le père Timothy Radcliff a déclaré :
« Il faut chercher à dire la vérité pour que l’autre puisse l’entendre sans se sentir harcelé. Et pour s’expliquer, il ajoute : « La poétesse américaine Emily Dickinson nous donne un bon conseil.
Dites toute la vérité, mais dites-la de manière indirecte. Le succès réside dans un circuit. Le fait est que la vérité est parfois dite avec plus de vigueur et de force lorsque vous le faites indirectement, de manière à ce que l’autre personne puisse l’entendre.
Nous avons besoin d’expériences concrètes de partage de la créativité dans le cadre de notre mission.
Nous devons mettre les gens en contact.
Et de tisser une communion entre eux.
Nous devons inventer de nouvelles façons de faire.
Si le numérique est réel, la communication doit avoir des effets réels, interagir avec les personnes, non seulement en fournissant des idées et des informations, mais aussi en créant un environnement propice à des relations fructueuses.
Communiquer, c’est rapprocher les gens.
La véritable ressource dont nous manquons n’est pas l’information, mais la confiance. Un atout très difficile à acquérir et très facile à perdre !
Si « la rupture entre l’Évangile et la culture est sans aucun doute le drame de notre temps » (comme l’affirme Paul VI dans Evangelii nuntiandi, n° 20), comment ramener l’Évangile dans le monde du cinéma, de la télévision, du Web ? Comment vivre dans une société contemporaine sans se perdre, mais au contraire en parvenant à changer de perspective ?
« Ce qui importe, selon saint Paul VI, c’est d’évangéliser la culture et les cultures de l’homme (non pas de manière purement décorative, en appliquant un mince vernis, mais de manière vitale, en profondeur et jusqu’à la racine) » (Ibid.). Il faut créer un nouvel imaginaire chrétien ! Il nous appartient de trouver un moyen de ramener l’Évangile dans le monde du cinéma, de la télévision, des journaux en ligne, des médias sociaux. Dans notre monde polarisé et blessé.
Les défis ne peuvent être relevés qu’ensemble. En marchant ensemble. En espérant, même lorsque nous semblons espérer contre toute attente
Il est significatif de constater que l’Évangile est tissée de questions qui invitent les disciples à se mettre en route. Ne nous contentons pas d’une feuille de route. Nous avons besoin d’un voyage, d’un chemin. Ne nous contentons pas d’une liste de choses à faire. Nous avons besoin d’une vision commune. Ne comptons pas d’abord sur l’organisation. La communion n’est pas un catalogue de règles. L’amour dont nous sommes appelés à être les serviteurs dans le monde de la culture n’est pas une formule.
Nous devons élargir le concept de communication, afin de générer un changement culturel à l’échelle mondiale. Nous devons unir nos efforts. C’est pourquoi nous devrions avoir au sein de SIGNIS des écrivains, des photographes, des journalistes, des artistes, des personnes du monde de la télévision et du cinéma qui rêvent ensemble, qui travaillent ensemble pour tisser un monde meilleur.
En s’écoutant les uns les autres, leurs points de vue peuvent aider chacun d’entre eux à aller concrètement de l’avant, à aller plus loin.
Nous vivons une époque de transition, où le journalisme est souvent corrompu par le pouvoir. Il nous appartient de servir la vérité. Regarder au-delà requiert un regard prophétique. Il nous appartient, en tant que personnes de bonne volonté, de tisser une éthique dans l’avenir que nous façonnons, en redécouvrant l’idée que la communication, comme l’éducation, est un bien public, et qu’en tant que tel, il doit être défendu. L’avenir de nos démocraties en dépend. Nous avons besoin d’un écosystème fiable où nous ne sommes ni à vendre ni à acheter, mais qui nous serve.
Nous sommes déjà un réseau. Ce qui nous manque, c’est la créativité humble et patiente de ceux qui ne recherchent pas les coups d’éclat éphémères, mais une relation fidèle.
Concentrons-nous sur ce point. Travaillons : en réseau, en impliquant les jeunes, en créant des événements, en formation, en communication.
Nous sommes ceux qui peuvent relier la créativité de l’artiste au service de la vérité du journaliste.
Le pape François nous a rappelé que « comme l’a dit un écrivain latino-américain, nous, les êtres humains, avons deux yeux: un œil pour voir ce qui est devant nous, et un autre pour voir nos espoirs et nos rêves. Quand quelqu’un n’a pas ces deux yeux, ou ne voit les choses qu’avec l’un ou l’autre, il perd quelque chose. La capacité de voir nos espoirs et nos rêves… la créativité artistique… Il ne suffit pas de voir, il faut aussi rêver. En tant qu’êtres humains, nous aspirons à un monde nouveau que nous ne verrons pas entièrement de nos propres yeux, mais que nous désirons, que nous recherchons et dont nous rêvons ».
Les SIGNIS – permettez-moi de reprendre les mots du pape François à l’égard des artistes –
« peuvent voir les choses à la fois en profondeur et de loin, comme des sentinelles qui tendent les yeux, scrutant l’horizon et discernant les réalités les plus profondes » C’est votre défi et le nôtre.
Comptez sur notre dicastère pour votre voyage.
En ce changement d’époque, il est vraiment temps de penser différemment.
Et de la faire ensemble.