Le Festival international du film de Karlovy Vary (KVIFF) est réputé pour présenter des œuvres cinématographiques exceptionnelles du monde entier. Dans son édition 2023, un film s’est démarqué des autres en captivant l’attention du le Jury Œcuménique par son histoire passionnante et ses performances exceptionnelles. « Les leçons de Blaga », réalisé par Stephan Komandarev, originaire de Bulgarie et d’Allemagne, a remporté le prestigieux Prix du Jury Œcuménique. Cet article explore les motivations de cette récompense bien méritée et relève les thèmes profonds évoqués dans le film.
« Les leçons de Blaga » raconte l’histoire d’une femme, Blaga. C’est une veuve de 70 ans qui se retrouve prise dans un engrenage de désespoir économique et d’ambiguïtés morales. Après avoir été victime d’une escroquerie téléphonique, Blaga se retrouve financièrement démunie, incapable d’offrir une tombe digne de ce nom à son mari récemment décédé, ainsi qu’à elle-même. Face à des circonstances apparemment insurmontables, elle prend les choses en main et a recours à des actes criminels pour obtenir réparation pour les épreuves qu’elle a endurées.
Le film a captivé le jury œcuménique par son exploration magistrale de l’équilibre délicat entre la responsabilité individuelle et les normes sociales. Le parcours de Blaga résonne profondément avec les luttes auxquelles sont confrontées les personnes âgées en Bulgarie post-communiste ou capitaliste d’économie de marché. À travers son personnage, le film met en lumière les complexités de la survie dans une société en proie à la corruption, à l’exploitation et à une lutte constante pour l’existence.
Les actions de Blaga, bien que moralement discutables, suscitent un sentiment d’empathie et invitent le public à remettre en question ses propres limites éthiques. La force du film réside dans sa capacité à faire réfléchir les spectateurs à la notion inconfortable selon laquelle eux aussi pourraient faire des choix comparables s’ils étaient poussés à bout. L’engagement inébranlable de Blaga envers ses convictions profondes, malgré les conséquences, ajoute de la profondeur et de la complexité à son personnage, accentuant encore le sort des individus piégés dans un monde impitoyable.
La religion joue également un rôle important dans le récit, les actions de Blaga étant motivées par la peur pour le salut de son mari. Cette exploration des convictions religieuses ajoute encore une couche au commentaire social du film, illustrant les défis auxquels sont confrontés les individus qui mêlent la spiritualité à leurs luttes quotidiennes.
Le succès du film peut être attribué non seulement à son intrigue captivante, mais aussi à la performance exceptionnelle de l’actrice principale Eli Skorcheva. Son interprétation de Blaga est tout simplement exceptionnelle car elle saisit l’essence d’une femme volontaire au caractère bien trempé, déchirée entre ses principes et les dures réalités de la vie. Sa performance nuancée permet au public de comprendre et de s’identifier aux émotions complexes de Blaga, malgré ses actions moralement discutables.
La narration habile du réalisateur Stephan Komandarev et sa cinématographie évocatrice élèvent encore davantage l’impact du film. Sa direction habile crée une expérience immersive qui amplifie la tension et la résonance émotionnelle du récit, gardant les spectateurs captivés jusqu’à la dernière minute.
À travers le parcours de Blaga, le film propose une réflexion critique sur les défis que pose la vie dans une société en proie à la corruption, à l’exploitation et à l’érosion de la confiance. En explorant la relation délicate entre la responsabilité individuelle et les normes sociales, « Les Leçons de Blaga » pousse les spectateurs à examiner leurs propres limites éthiques, favorisant ainsi une meilleure compréhension de la condition humaine.
Le jury a également récompensé d’une mention spéciale « Citizen Saint » de Tinatin Kajrishvili (Géorgie, France, Bulgarie, 2023), qui raconte l’histoire d’un village d’une région minière aride de Géorgie qui vénère un saint très endommagé par les intempéries et qui semble soudain avoir repris vie. Des miracles se produisent, des boiteux marchent, des mineurs perdus apparaissent à leurs proches et chaque spectateur connaissant la Bible croit avoir déjà vu ou entendu tout cela auparavant. « Mais ce film n’est pas simplement une relecture du Nouveau Testament. Il soulève plutôt une question essentielle et assez autocritique de la religion chrétienne : pourquoi vénérons-nous les morts, immobiles et remplaçables, plutôt que les vivants ? Voulons-nous vivre ou survivre ? », interroge le jury. Pour cette raison et pour son exceptionnelle conception visuelle, esthétique et musicale, le Jury Œcuménique a décerné sa mention spéciale à « Citizen Saint » de Tinatin Kajrishvili.
Cette année, le jury était composé de Hana Ducho (République tchèque), Anna Grebe (Allemagne) et Hermann Kocher (Suisse).